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moment où le seul moyen qu’il ait de sauver son beau-frère est de l’assassiner ; mais c’est qu’il est un militaire, moins apte au maniement des affaires qu’à celui des armes à feu. Les caractères, forcément, ne peuvent être dessinés que d’un trait et les personnages saisis que dans une attitude : Juliane est l’honnête femme, Séverin est le justicier. Baptiste est le terre-neuve, et Messénis a un bien joli nom, mais il ne sert pas à grand’chose. La violence resserrée dans ce cadre étroit en parait plus violente. Je me souviens qu’un jour M. Paul Hervieu reprocha aux dramaturges de la période précédente, aux Dumas fils et aux Augier, d’avoir ensanglanté la scène avec férocité. Il rappelait aux auteurs dramatiques ses confrères le précepte : « Tu ne tueras pas. » Or, l’Enigme, que vient de reprendre la Comédie-Française, se termine par un suicide, et la pièce nouvelle que représente la Porte-Saint-Martin roule sur un meurtre. Apparemment, c’est qu’au théâtre il en est comme dans la vie : on approuve une chose et on en fait une autre : le destin est maître. Peut-être, après tout, faut-il attribuer l’extrême rudesse de ce drame à ce qu’il a été écrit pour être représenté d’abord en Espagne. Il semble en effet qu’il ait quelque chose de bien castillan. L’honneur, au nom duquel Séverin tue son beau-frère, n’est pas sans analogie avec ce « point d’honneur, » qui a fait couler tant de sang sur la scène espagnole.

Mlle Brandès a été une Juliane très pathétique et M. Le Bargy un Séverin très sombre. M. Jean Kemm a remporté un grand succès pour la sobriété avec laquelle il a dessiné le bout de rôle du domestique infidèle et héroïque.


MM. R. de Flers et G. A. de Caillavet nous ont donné dans Monsieur Brotonneau une pièce qui diffère sensiblement de leur manière habituelle. Dans leurs plus ingénieuses comédies, du Roi au Bois sacré et de l’Habit vert à la Belle Aventure, ils ont repris le genre de la comédie parisienne suivant la formule de Meilhac et Halévy. Sur une intrigue de vaudeville court une satire légère des mœurs contemporaines. La sensibilité n’est pas absente de ces pièces gaies, le mélange de l’ironie et de la tendresse étant d’une saveur essentiellement parisienne. Parfois la sensibilité domine et nous avons l’Amour veille ou Primerose. J’ai lu un peu partout que le succès de Monsieur Brotonneau était un succès d’émotion et de larmes, mettant dans l’œuvre des deux écrivains une note de tendresse qui ne s’y trouvait pas encore aussi accentuée. Je crois au contraire que cette pièce est d’une note dure, d’ailleurs parfaitement conforme à notre tradition la plus