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et il aimait à chanter : il a mis des morceaux de chant dans plusieurs de ses rôles ; il dansait, ayant la jambe belle. Enfin à Molière auteur elles fournissaient le moyen de se montrer poète au sens où nous l’entendons aujourd’hui, c’est-à-dire poète lyrique. Nous reprochons au XVIIe siècle d’avoir ignoré la fantaisie, alors qu’il lui a seulement fait la juste part, — qui ne saurait être la principale. C’est que nous laissons de côté ce qui gêne notre thèse. La gloire de Molière est d’avoir dressé devant nous, dans leur éternelle vérité, les types de la comédie humaine ; mais il a aussi, en se jouant, écrit un « théâtre de fantaisie et d’amour. »

On sait l’histoire de Psyché, « commandée à Molière afin d’utiliser un enfer célèbre que le garde-meuble du Roi avait en magasin. » Molière avait figuré sous le nom de Gélaste dans le roman de La Fontaine, paru deux ans auparavant : les Amours de Psyché et de Cupidon : il prit ce sujet qu’il avait sous la main. Il traça le plan de la pièce, en écrivit les premières scènes, et, pressé par le temps, s’adressa à Corneille qui en versifia quatre actes et y mit, lui barbon, quelques-uns des vers les plus amoureux qu’on ait jamais soupires. Lulli fit la musique et Quinault les vers à chanter. La merveille est que des collaborations si diverses aient donné un résultat si harmonieux. Mais c’est ici dans l’histoire de l’art une minute charmante, un jour sans lendemain. Entre tous les élémens qui composent le spectacle, poésie, danse, musique, figuration, décors, costume, l’équilibre n’est pas encore rompu. C’est un équilibre instable et qui vaut par son instabilité même. Tout ici est en nuances, dont aucune n’est appuyée. On hésite entre le conte de fées et la fable mythologique ; une douce familiarité rapproche de nous les dieux de l’Olympe, sans les outrager par la parodie ; ces dieux et ces êtres légendaires parlent comme des princes et des princesses de la Cour de Louis XIV ; et quand ils peignent les tourmens de leur cœur, ils trouvent des mots de toujours et des traits de tous les temps. Ce mélange, ce voisinage, cette complexité, cette indécision est le charme indéfinissable de la tragédie-ballet, et qu’on ne retrouvera plus dans l’opéra de demain.

Mlle Defrance a été une Psyché d’une naïveté charmante. Et Mlle Méry a dit le rôle de l’Amour avec une chaleur et une passion des plus remarquables.


RENE DOUMIC.