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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/472

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Ne la trouvant pas, le pauvre Sorore adressa aux autres étrangers susdits une exhortation affectueuse ; il leur dit que si l’un d’entre eux, aveuglé par le démon, avait eu vraiment le malheur de commettre le vol, il le conjurait de restituer la bourse pour le salut de son âme propre et puis aussi afin de le sauver du scandale, lui, Sorore, ainsi que sa maison, attendu que désormais les étrangers ne viendraient plus y demeurer, s’ils apprenaient qu’on y volait les gens. Là-dessus tous ses auditeurs restèrent atterrés ; et pour montrer qu’ils n’étaient pas ingrats à l’égard de leur bienfaiteur, ils firent voir minutieusement tout leur avoir, et allèrent même jusqu’à se dépouiller afin de donner satisfaction à l’importun accusateur qui, cependant, s’obstinait à déclarer contre le serviteur de Dieu : « Je persiste à n’être pas satisfait, car c’est toi qui es un voleur et non pas tous ceux-là ! » Et puis, avec maintes injures et vilenies, sur-le-champ il alla dénoncer Sorore au tribunal. Là, quand il y fut appelé, le pauvre serviteur de Dieu se mit en devoir d’exposer ses raisons : mais telle était la perfidie du Démon que déjà non seulement les fonctionnaires de la justice, mais aussi d’autres citoyens commencèrent à se soulever contre le pauvre Sorore, le soupçonnant de n’être homme de bien qu’en apparence. Et comme enfin le juge le menaçait de le mettre en prison, voici que le bienheureux s’avisa d’enlever d’autour de son col un certain petit sachet contenant des reliques ; et, en posant le sachet devant le Podestat, il lui dit : « Seigneur, faites jurer à cet homme, sur ces reliques de saints, que ce qu’il est venu affirmer devant votre tribunal se trouve être bien vrai, à savoir : qu’il a vraiment apporté hier dans ma maison une bourse pleine de deniers ! Et puis ensuite, que s’il le jure, faites de moi ce qui vous plaira ! » À ces mots le Démon disparut avec une très grande rumeur, laissant le juge tout couvert d’immondices et les assistans tout comblés de stupeur. Et Sorore put s’en retourner en paix à ses bonnes œuvres.


M. Misciatelli suppose en outre que c’est depuis ce jour, et sous l’inspiration immédiate du bienheureux Sorore, que tous les hôtes de l’hôpital de Sienne sont tenus de déclarer d’abord très exactement le contenu de leurs poches, — par crainte d’aventures pareilles à celle qu’a faussement alléguée l’implacable ennemi du bienheureux. Mais sauf le cas où le savant historien siennois se trouverait en état d’appuyer son assertion sur une pièce d’archives, — chose d’autant moins probable qu’il ne se fait pas faute lui-même, par ailleurs, de nous exprimer son incrédulité à l’égard du « mythe » de Sorore, — je me refuserai toujours à soupçonner d’un acte de défiance aussi peu franciscain l’un des « annonciateurs » les plus vénérables de la personne et de l’œuvre de saint François d’Assise.


T. de Wyzewa.