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parce que tout le monde sent qu’il n’y en a pas actuellement de plus graves et que l’avenir du pays, sa sécurité au dehors, sa tranquillité au dedans y sont intimement attachés. C’est donc, en saine logique, sur ces questions qu’il s’agissait de faire une majorité aux élections d’hier.

Les radicaux s’en sont-ils souvenus lorsqu’ils ont abdiqué au profit des socialistes ? Ceux mêmes qui ont voté le service de trois ans, ou l’impôt sur le revenu sans déclaration contrôlée, en ont remis le sort entre les mains de leurs concurrens socialistes, qui avaient eu sur eux l’avantage au premier tour. Ainsi le veut, parait-il, la discipline du parti. La postérité s’étonnera de ces naïvetés redoutables, qui rappellent, avec l’aggravation des conséquences, la philosophie scolastique où les questions étaient résolues avec des jeux sur les mots. Quand les règles du raisonnement avaient été observées, on croyait avoir atteint la vérité. Que dirait-on d’un voyageur qui, assis dans une voiture dont il aurait soigneusement fermé les fenêtres après avoir constaté que les roues tournent bien, que l’attelage est en règle, que le cocher tient correctement les rênes, s’endormirait tranquille sans prendre la peine de regarder où on le conduit ? Ce voyageur ressemble à beaucoup de nos hommes politiques. Bridoison, lui aussi, estimait que la forme était tout. Nous avions déjà peu d’estime pour les seconds tours de scrutin : ils ont servi de tout temps de prétexte à toutes les compromissions, à toutes les capitulations et leur immoralité habituelle est pour beaucoup dans le discrédit dont on cherche à frapper le suffrage universel ; mais jamais elle ne s’était plus effrontément étalée que ces jours derniers. Aussi ne saurait-on trop recommander aux partisans de la réforme électorale, s’ils réussissent à la faire, de supprimer cette opération inutile et malfaisante. Le second tour n’existe pas en Angleterre et même aujourd’hui, où les institutions anglaises se rapprochent de plus en plus des nôtres, il n’est pas question de l’y introduire. Nous souhaitons que leur esprit politique en préserve toujours nos voisins, mais encore plus que quelque bonne fortune nous en affranchisse nous-mêmes.

Il est encore trop tôt pour tirer l’horoscope de la nouvelle Chambre : il est difficile toutefois d’envisager l’avenir avec optimisme. Le parti pris qui est passé dans nos mœurs parlementaires et qui consiste à faire une majorité avec des personnes auxquelles on reconnaît bon teint républicain et non pas en vue des questions qu’elles ont à traiter, risque de nous conduire de plus en plus loin. On exclut artificiellement de la majorité toute la droite, puis les ralliés, puis