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court pas de tous côtés ; mais il ne s’attarde pas. Il vous invite à prendre son allure : vous le suivez sans peine ; il vous guide avec précaution. Du reste, il ne bavarde pas ; mais il cause. Ne sommes-nous pas de loisir ? Et nous flânerons, quelquefois, comme des gens qui n’ont point à se presser outre mesure, et non comme des gens fatigués Nous éviterons l’ennui : l’ennui si morne qu’on éprouve dans ces phrases en labyrinthes où l’on est perdu et d’où l’on sent qu’on ne sortira pas ; l’ennui de ne pas savoir où l’on va, l’ennui de savoir qu’on ne va nulle part, et qu’on patauge, ou qu’au moins on piétine ; et l’ennui dont on meurt, dans les déserts de la pensée vague. On nous divertira ; il y aura de l’imprévu. Et l’on nous décrira le paysage ; mais vite, car il n’est rien de plus fastidieux qu’une description lente. Vous entrez dans un parc, à telle heure du jour ou du soir : et vous remarquez une fleur, un parfum, la couleur du moment. C’est tout ; cela suffit. Vous ne dénombrez pas les roses, les dahlias et les pieds de jacinthe : c’est la besogne de l’aide-jardinier. Vous ne faites pas un inventaire  : c’est la besogne du commissaire-priseur. Non la besogne de l’artiste ! Et puis, vous lisez un roman. Les personnages vous intéressent, et le récit de leurs aventures. Vous réclamez des aventures ; ou bien les personnages ne vous intéressent plus. Mais ils rêvent ?… Ah ! qu’ils ne rêvent pas trop ! Qu’ils agissent, et réagissent, non comme des pantins : comme vous, si actif et allant dès que vous guide le garçon « large d’épaules et étroit du baudrier. » Pas de psychologie ! Vous avez renoncé à la description trop méticuleuse du parc, si beau sous le soleil et si mélancolique aux rayons de la lune bleue : ce n’est pas pour accepter qu’on vous inventorie l’invisible jardin de l’âme, plein de chiendent, d’ortie et de belladone, allégorie de ténèbres. Pas de psychologie : c’est la besogne des sorbonniens. Des actes : c’est ainsi que se déclarent les âmes ou, disons mieux, les caractères, mieux encore, les individus. Car il n’y a que des individus. Il faut qu’on soit, au bout du compte, disciple d’Aristote ou de Platon : la querelle, sous d’autres noms, dure. M. Marcel Boulenger, nous le désignerons comme aristotélicien. « Je vois bien, dirait-il à son tour, ce cheval, non la chevaléité, 6 Platon ! » Pour indiquer ce qu’il n’aime pas, ne voit pas et considère comme du néant, il empruntera ce néologisme, trait de mépris.

Lisons le Fourbe, roman très joli et presque très beau, roman qu’on risque de n’entendre pas tout à fait bien : et, en pareil cas, c’est la faute du lecteur, la faute de l’auteur aussi. Ne blâmons que l’auteur ; mais nous le louerons pour tant de qualités charmantes qui le