Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/687

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

curieuse d’une amitié qui vient à elle et, pour la seule amitié, sensible aux qualités païennes. François rivalise avec le poète lauré, Stéphane Courrière, notre Pétrarque. Et il va triompher… « Alors, François, vous goûterez avec moi, demain, à la villa d’Esté ? » Eh bien ! non. Pourquoi ?… Marie-Dorothée lui a dit : « Vous prenez le plus droit chemin pour aller d’une pensée à l’autre ; j’aime cela ! » Tel est-il, en effet. Cependant, il aime la marquise ; il assure qu’il l’aime avec passion. N’en doutons pas. Mais il n’a plus d’argent ; et il regarde son carnet de chèques : épuisé, le carnet. « Demain, vous aurez le droit de m’appeler Marie, à la villa ; Marie d’Esté !… » Le lendemain, dès l’aube, il part. Qu’on lui pardonne sa brusquerie : fonctionnaire, il était en mission, naguère, à Vallombrosa ; il a pris, à Rome, des jours de congé ; ces jours sont finis. Voilà une tête bien faite et qui sépare nettement les heures du plaisir, celles du devoir. En outre, écoutons-le : « Je suis marié. Pourquoi ne l’ai-je pas dit encore ?… » Il ne l’a pas dit ; et l’on ne s’en apercevait pas du tout. Il l’oubliait, probablement.

Yvonne Simonin : pauvre femme, très douce et réservée ; hélas ! trop réservée, pour ce mari, « bon athlète ; » et pieuse, toujours à murmurer une prière, trop pieuse pour le « bon athlète » positiviste ; et si touchante, si inquiète ! Mais froide, en apparence. Frémissante ; mais en secret. Le « bon athlète » n’a vu que l’apparence. Il n’est pas bête. Seulement, avec une remarquable santé physique et morale, intellectuelle aussi, François a un défaut que M. Marcel Boulenger ne lui reproche pas, et que je lui reproche ; ce défaut : un goût tel de la clarté que tout mystère lui échappe. Yvonne, auprès de lui, est un mystère, et qu’il n’essaye pas d’approfondir. Les Simonin avaient une petite fille : elle meurt, le jour même que François revient de Rome. On aurait tort de prétendre que François n’eût pas de chagrin. Mais, comme il sépare nettement son plaisir et son devoir, il ne mêle pas non plus son chagrin et tout le reste de sa vie. Il pleure ; et, quand il retourne à ses forêts, il fait son métier. Yvonne, moins habile, s’abandonne à la douleur : elle n’est que de la douleur et n’a de refuge qu’en Dieu. Une même douleur les réunirait, François et Yvonne : ils n’ont pas une même douleur. François est tendre ; Yvonne tombe dans ses bras ; « un instant après, elle remue les lèvres : sa prière… » Et il y a, entre Yvonne et François, cette prière où l’une met toute son âme, où l’autre ne met rien.

La marquise Gianelli a quitté Rome pour Paris. Elle appelle François. Et, en peu de jours, tant pis pour Stéphane Courrière : celui-ci vogue sur la Méditerranée avec une infante Pia qui, en faveur d’un