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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/691

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REVUE SCIENTIFIQUE

LA ROBE VAPOREUSE DU SOLEIL

La fable de l’aveugle et du paralytique me paraît fournir un symbole exact des rôles respectifs que jouent dans la science la théorie et l’expérimentation. L’une ne peut pas plus se passer de l’autre que ne le peuvent les deux dolens héros de Florian. L’expérience, sinon aveugle, au moins très myope, qui ignore tout ce qu’elle ne touche pas du doigt, tout ce qui dépasse le bout de son nez fureteur, piétinerait lamentablement dans le même cercle si la théorie à l’œil clair et qui voit de loin les obstacles… et aussi les mirages de l’horizon, ne venait à son secours. Mais la théorie à son tour ne serait rien, si elle n’était juchée sur les robustes épaules de l’expérience : sans celle-ci, elle ne pourrait jamais distinguer dans les apparences qu’elle aperçoit au loin ce qui est réel de ce qui est illusoire. Impuissante à avancer par elle-même sur le terrain solide des réalités, condamnée à tourner toujours ses regards dans le cercle immobile du même panorama fallacieux, elle ne bougerait pas plus qu’une souche et ne tarderait pas à radoter.

C’est ainsi que la collaboration, quelquefois orageuse, de l’expérience qui touche et de la théorie qui prévoit, des réalités ou des systèmes, du fait et de l’hypothèse, a construit clopin-clopant l’édifice, toujours inachevé, de la science contemporaine. Mais jamais sans doute cette collaboration du cerveau qui conduit et des mains qui tâtonnent n’a été aussi complète et aussi féconde que lorsqu’elle a décelé, dans l’atmosphère du Soleil, toutes les choses étonnantes qu’on y a découvertes depuis quelque temps.