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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/720

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gique et plus indépendante. En attendant, elle se contente, comme le dit M. Poincaré, de contrôler, par l’entremise de ses représentans, l’œuvre quotidienne des Cabinets responsables. Mais qu’attend-elle du Président de la République, car on a bien vu qu’elle en attendait quelque chose ? Il a de grands devoirs, et M. Poincaré les comprend et en parle merveilleusement. « Puisqu’il est chargé, dit-il, de représenter la nation tout entière, le Président de la République doit chercher à se hausser au-dessus des intérêts particuliers, même les plus légitimes, et à n’envisager en toutes choses que l’utilité générale : il doit se dégager du contingent et de l’éphémère pour affermir en son esprit la notion des nécessités permanentes : il doit dépouiller de toutes complications accidentelles les diverses questions qui se présentent à lui et tâcher de les considérer exclusivement du point de vue français. » Dans ce style lapidaire, M. Poincaré a défini le rôle du président avec une netteté, une précision, une fermeté de pensée et d’expression qu’on ne saurait surpasser. Mais quand on relit ces paroles, une question vient inévitablement à l’esprit : Qu’arrivera-t-il si, le Président comprenant ainsi son rôle, d’autres comprennent moins bien ou même comprennent mal le leur, et si, pendant qu’il haussera son âme à da hauteur des intérêts généraux et permanens du pays, d’autres abaissent la leur à la seule préoccupation et satisfaction des intérêts personnels ? Qu’arrivera-t-il, si ces derniers sont précisément ceux qui exercent le pouvoir, députés et ministres dépendant les uns des autres, comme les membres d’une même camarilla, et s’ils ont la prétention d’exercer seuls l’autorité, puisqu’ils ont seuls la responsabilité parlementaire ? Ces choses-là se sont vues et, d’après lia manière dont les dernières élections se sont faites sous la plus haute pression gouvernementale, c’est-à-dire sous la plus virulente corruption administrative qu’on ait jamais vue, nous serions surpris si ces mêmes choses ne se voyaient pas encore. Il faudrait plaindre un président de la République qui se sentirait impuissant en présence de cette désagrégation nationale : son supplice serait celui d’un vivant attaché à un mort en décomposition. Heureusement M. Poincaré regarde comme un de ses devoirs d’être un « conseiller » et quand il se propose d’« affermir en son esprit la notion des nécessités permanentes, » il ne renonce pas à l’affermir aussi dans l’esprit des autres : et c’est là surtout qu’il est indispensable de la faire.

Pour le moment, il aura à choisir des ministres, ce qui est aussi une indication et un conseil. Les grands intérêts du pays apparaissent en ce moment avec un éclat si vif qu’on ne saurait se méprendre sur