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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/822

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Ce fut Louis et moi, dit la princesse dans son Journal, qui dûmes lui apprendre la mort de M. Necker, son père. Mme Necker-Saussure, sa cousine, s’adressa à moi, pour prévenir Mme de Staël d’une maladie dangereuse survenue à son père ; il y avait succombé, avant qu’il fût possible de le faire savoir à sa fille. C’est ce qu’elle ne devait apprendre qu’à Leipzig, où l’attendait M. Benjamin Constant. Celui-ci était à Coppet au moment de la mort de M. Necker et en apportait tous les détails à sa fille.

Je fus chez Mme de Staël avec Louis. J’y trouvai le chargé d’affaires de Suède, déjà prévenu de l’événement par M. Benjamin Constant. Au premier mot que je lui dis de la maladie de son père, elle jeta un cri et dit : « Il est mort. » Je lui remis la lettre que sa cousine m’avait envoyée pour elle. Avec une douleur déchirante, elle fit ses préparatifs de départ ; une heure plus tard, Mme de Staël était sur la route de Leipzig[1].

Ce ne fut pas à Leipzig, mais à Weimar que Mme de Staël apprit la mort de son père que la princesse Radzivill lui avait laissé ignorer, et ce ne fut pas Benjamin Constant, ce fut Mlle de Gœckhausen qui la lui apprit. Son désespoir se traduisit par des cris et des convulsions d’une telle violence que le médecin appelé à la soigner déclarait n’en avoir jamais vu de pareilles. « Elle est plongée dans une douleur vraiment folle, des convulsions, des cris mêlés à des larmes, » écrivait également Charlotte de Stein.

Mme de Staël dut passer quelques jours à Weimar, pour se remettre de cet état violent. Ce retard donna à Benjamin Constant le temps d’arriver. Il était depuis peu à Lausanne, quand il apprit la mort de M. Necker. Quand la nouvelle lui parvint, il écrivit dans son Journal intime :

M. Necker est mort ! Que deviendra sa fille ? Quel désespoir pour le présent t Quel isolement pour l’avenir ! Je veux la voir, la consoler, ou du moins la soutenir. Pauvre malheureuse ! Quand je me rappelle sa douleur, son inquiétude il y a deux mois, et sa joie si vive qui devait être de si courte durée ! Pauvre malheureuse ! Mourir vaudrait mieux que cette souffrance[2].

Il se rendait aussitôt à Coppet où il trouvait réunis quelques parens du défunt. « Conversations tristes, ajoute-t-il, mais que la sensibilité pour les malheurs qui ne sont pas personnels est d’une mince épaisseur ! Comme on est prêt à se distraire et à penser à

  1. Quarante-cinq ans de ma vie, p. 191.
  2. Journal intime de Benjamin Constant, précédé d’une introduction par D. Melegari, p. 24 et passim.