Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/857

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régimens, ils sont tout disposés à régner en maîtres sur le pays dont ils ont la garde, et à ne pas obéir à des chefs qui ne sont pas des officiers.

À chacun son rôle. Un administrateur n’est pas un soldat. Rien d’étonnant à ce qu’il n’ait pas sur ses hommes l’autorité nécessaire pour les empêcher de commettre des exactions ou de se soulever contre lui.

Que penserait-on d’une conception allouant à chaque département de la France, pour assurer l’ordre intérieur, et la sécurité extérieure, quatre gendarmes commandés par un maire, ou même par un préfet ?

Que dirait-on, si ces quatre gendarmes étaient, par surcroît, recrutés parmi les hommes les plus indisciplinés ? Et si, de plus, la population du département était spécialement encline à la révolte ?

Telle est, pourtant, l’organisation d’une colonie soumise dès le début au régime civil. Le tableau n’est pas humoristique, il est fait d’après nature.

Et je dois encore ajouter une ombre à ce tableau, celle des concessions.

L’exploitation immédiate des ressources d’un pays neuf par une société puissante a des avantages ; elle est presque une nécessité pour la pénétration pacifique. Les postes, en effet, sont installés le long de la route parcourue par le premier explorateur, et ils ont trop de peine à se maintenir en place, pour songer à étendre leur action en dehors de ce sentier. C’est même la caractéristique de ces colonies ; elles sont « linéaires. » Le petit commerce n’oserait pas se risquer hors de cette ligne, il n’a pas les moyens de prendre des miliciens à sa solde. Au contraire, le concessionnaire a des capitaux, il est capable de payer la protection dont il a besoin, et il lance dans la brousse, encore inconnue, un essaim d’agens escortés de quelques miliciens.

Ainsi se trouve complétée et constituée la colonie : un axe jalonné de postes autour desquels va rayonner le commerce. Malheureusement, ce rayonnement multiplie les points de contact avec les indigènes, c’est-à-dire les chances de conflit, et ces chances sont accrues par la présence des miliciens, encore moins disposés à obéir au commerçant qu’à l’administrateur. ! Enfin, le pays voit d’un mauvais œil l’établissement d’un monopole.