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femme d’une heure tragique. Pour cette heure, elle a fait un effort surhumain, elle a fait appel à toute sa volonté contre sa nature et contre la nature. « Venez, venez, esprits qui assistez les pensées meurtrières ! Désexez-moi ! » Elle a tendu ses nerfs, exalté toutes ses énergies, dans cette crise d’une prodigieuse intensité. Les images qui ont occupé ces minutes se sont, une fois pour toutes, inscrites dans sa mémoire et ce sont elles qui réapparaîtront chaque fois que la volonté n’interviendra pas pour les chasser, ou que la place ne sera pas occupée par la fantasmagorie des spectacles qui nous distraient pendant le jour. Il ne s’agit en effet, dans le cas de lady Macbeth, que d’images qui réapparaissent dans le sommeil de la volonté ; et c’est toute la scène du somnambulisme. La dormeuse aux yeux grands ouverts ne gémit pas sur son crime, et ses sanglots sont ceux d’une poitrine oppressée non d’un cœur ulcéré. Mais elle revoit tous les détails de la nuit terrible, elle entend chaque bruit qui a frappé son oreille, elle assiste à toute la scène, et, comme si cette scène se recommençait, elle y redit les mêmes mots, elle y refait les mêmes gestes. Elle est pareille à tous ceux qui ont dans leur passé un souvenir où toute leur vie s’est ramassée, et qui appartiennent désormais à ce souvenir. Le remords habite donc en elle, mais un remords qui affecte la forme presque matérielle de la « hantise. »

Et nous aussi nous restons hantés par ces images et par ces mots, où le génie de Shakspeare a joint à la divination du psychologue la puissance plastique du poète. « Macbeth a tué le sommeil… Cette tache, toutes les eaux de la mer ne l’effaceraient pas… » ces phrases, entrées dans la langue courante, sont devenues pour nous les formules mêmes du remords. Cette pièce qui met en scène des demi-barbares et des demi-fous éclaire dans ses replis les plus secrets et dans ses profondeurs les plus obscures la conscience humaine. L’art de Racine et l’art de Shakspeare sont aux deux pôles opposés et aboutissent aux mêmes trouvailles.

Macbeth est encadré, à la Comédie-Française, dans des décors du plus heureux effet : lande et caverne des sorcières, cour et salles du château féodal. Un seul m’a paru détonner dans l’ensemble ; il représente un parc moderne, en automne : on a eu l’idée bizarre d’y placer l’assassinat du fils de Macduff, qui, d’après le texte de Shakspeare, a été frappé dans une chambre. Apparemment le théâtre avait ce décor en magasin, on s’est dit qu’un beau parc est beau et fait partout le meilleur effet. J’ai déjà dit que le grand succès de l’interprétation est allé à Mme Bartet. C’est une des meilleures