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savons pourquoi : il se réserve sans doute pour de plus hautes destinées. C’est là que nous allons, ou du moins c’est là qu’on veut nous entraîner ; mais la Chambre se laissera-t-elle faire ?

Après l’échec de M. Viviani, M. le Président de la République a fait appeler dans la même journée M. Paul Deschanel qui a préféré rester à la présidence de la Chambre ; puis M. Delcassé, que son état de santé a retenu chez lui ; puis M. Jean Dupuy qui n’a pas cru être indiqué par les circonstances pour la présidence du Conseil et a passé la balle à M. Peytral, qui l’a laissée tomber, comme les autres. M. le président de la République s’est alors souvenu que, dans la conversation qu’il avait eue avec lui, M. Doumergue lui avait présenté trois ministères comme possibles : un ministère Viviani, un ministère Bourgeois et un ministère Ribot. M. Bourgeois aurait accepté un ministère, mais non pas la présidence du Conseil ; M. Viviani avait lamentablement échoué ; M. Poincaré a fait appeler M. Ribot. Il lui avait déjà, on s’en souvient, confié le soin de former un Cabinet après la chute de M. Barthou ; mais il lui avait donné alors un mandat limité, qui consistait à faire un Cabinet avec le concours ou du moins avec l’adhésion des radicaux. Il semble bien lui avoir laissé aujourd’hui une liberté plus large. On ne saurait avoir trop de reconnaissance à M. Ribot pour avoir accepté la lourde charge que tant d’autres avaient déclinée. S’il n’avait consulté que son intérêt personnel, les-bonnes raisons ne lui auraient pas manqué pour s’abstenir lui aussi ; mais il n’a écouté que son courage et il s’est mis aussitôt en campagne. La situation s’aggravait tous les jours, il n’y avait pas un moment à perdre. M. Ribot est dans une situation particulière : il est un peu en dehors des partis, et il a pris l’habitude d’étudier et de traiter les questions en elles-mêmes, pour elles-mêmes, avec la seule préoccupation des intérêts généraux qui s’y rattachent. Personne aujourd’hui, dans les Chambres, n’en a une connaissance plus approfondie ; il est toujours prêt sur tous les sujets ; sa parole nette et pratique autant qu’éloquente a fait de lui, autrefois au Palais-Bourbon et maintenant au Luxembourg, un conseiller toujours écouté et le plus souvent : suivi. C’était donc le meilleur choix que pût faire M. le Président de la République, si on se place au point de vue des questions à résoudre, point de vue qui est le nôtre et qui, en ce moment, devrait être celui de tous. Mais il y en a un autre, celui des partis, celui des groupes et des sous-groupes, celui auquel s’était placé M. Viviani, lorsqu’il a vainement essayé de former son ministère et auquel il est malheureusement resté attaché depuis.