Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Paul Heyse marque moins d’indulgence aux époux oublieux de leurs devoirs. Les héros, même célibataires, et jusqu’aux beaux éphèbes qu’il met en scène, hésitent à répondre aux avances d’une épouse coquette. Eberhard, le jeune archéologue de Villa Falconieri (1887), aime à la folie la comtesse Sammartino, mais « dans son âme d’honnête Allemand, » le désir et la vertu se livrent un rude combat et la vertu finit par triompher. Le Germain tenté s’enfuit sans laisser même son manteau de voyage aux mains de la Putiphar romaine, qui le raille et le maudit : « Il vous plaît mieux d’être sage qu’heureux, partez !… » Je ne crois pas me tromper en déclarant que Paul Heyse approuve et même admire cette conduite héroïque de son jeune archéologue. L’adultère dans ses récits se paye très cher. Pour avoir succombé, le professeur Chlodwig {Amour céleste et Amour terrestre, 1885) et le poète Ramon de Miraval (la Poétesse de Carcassonne, 1880) expient amèrement. Encore ces terribles pénitences paraissent-elles à peine suffisantes à la sévérité vengeresse de Paul Heyse.

En revanche, il hésite à condamner le libre amour de deux êtres jeunes et qui s’aiment, mais qui négligent la sanction préalable du prêtre et du tabellion. Il justifie sa complaisance dans la Brodeuse de Trévisev(1868). Attiglio Buonfigli, gentilhomme trévisan, aime d’amour l’humble brodeuse Giovanna. Et ne pouvant s’épouser, ces jeunes gens se donnent l’un à l’autre en secret. Frappé dans un tournoi d’un mauvais coup de lance, Attiglio meurt. Giovanna, consumée de chagrin, languit et le rejoint bientôt dans la tombe. Paul Heyse met cette élégie en prose dans la bouche d’un érudit, qui l’exhuma, dit-il, d’une vieille chronique italienne, et en donne lecture, un jour de pluie, a une compagnie de gens délicats : « Que pensez-vous, demande à une jeune femme un membre de cette société ; que pensez-vous de la moralité de cette histoire ? » Sur quoi la personne interrogée répond avec un brin de lourdeur germanique : « Je ne sais s’il peut être question d’ériger en modèle un cas si singulier. On dit du reste : Autres temps, autres mœurs, et à chaque peuple ses idées ; mais j’avoue qu’un dévouement passionné qui ne compte point sur une fidélité éternelle me choquera toujours. Il a fallu la fin tragique de cette histoire pour me réconcilier avec son étrange début. Et pourtant, si cette blonde Giovanna avait été ma sœur, je n’aurais pas hésité à