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opération. » Au contraire, d’après la Palatine, duchesse d’Orléans, il arrivait souvent que les lettres remises aux destinataires portassent des traces très visibles d’effraction : « La poste, écrit-elle à la duchesse de Hanovre (1682), nous fait l’honneur de refermer bien subtilement nos lettres. Mais à cette bonne Madame la Duchesse (de Bourbon) on les lui envoie souvent dans un singulier état et déchirées par en haut. »

Louvois procédait d’ailleurs plus rondement que son successeur, M. de Torcy : « C’est une misère, écrit plus tard Madame, que la façon dont va la poste aujourd’hui (1705). Du temps de M. de Louvois, on lisait les lettres aussi bien qu’à présent, mais on les remettait du moins en temps convenable. Maintenant que ce crapaud de Torcy a la direction de la poste, les lettres se font attendre un temps infini. » Quand cette princesse constatait que « toutes les lettres qui entrent en France ou qui en sortent sont ouvertes, » elle venait d’en faire l’expérience par une missive à sa tante (1701), que la poste, trouvant trop forte pour se contenter, à l’ordinaire, d’en donner un extrait, avait envoyée au Roi en original : Mme de Maintenon y était traitée de « vieille ordure. »

Pour la belle-sœur du Roi, tout s’arrangeait avec une scène et des excuses ; pour les simples particuliers, le « cabinet noir » avait ce grave inconvénient d’être un coupe-gorge : des commis peu délicats pouvaient, dans ces « extraits, » faire dire tout ce qu’ils voulaient aux lettres décachetées, desservir ou perdre quelqu’un près du souverain et des ministres, en inventant ou falsifiant les correspondances, puisque rien ne garantissait l’authenticité et l’exactitude des copies. Il est même curieux que ce monstrueux organisme n’ait pas donné de pires résultats, surtout au XVIIIe siècle où les intendans généraux, qui travaillaient directement avec le Roi, répartissaient les extraits entre les mains des ministres intéressés, des hommes politiques, des favorites, des courtisans d’importance. Une discrétion relative y fut observée ; Louis XIV se taisait scrupuleusement sur les intrigues amoureuses qui venaient ainsi à sa connaissance et Louis XV, comme son aïeul, « gardait le secret aux dames. » On en peut dire autant des douze ou quinze hommes de confiance, vieillis dans le métier, seuls admis à pénétrer dans cette chambre des postes qu’ils appelaient entre eux « le Secret. »