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mécanique parlante de Chappe, fut une date mémorable dans l’histoire des communications. Le 15 fructidor an II (1er septembre 1794), parvenait la première dépêche, pour laquelle les appareils se déployaient simultanément depuis la tour Sainte-Catherine, à Lille, jusqu’au dernier poste de la butte Montmartre. C’était la nouvelle d’une victoire ; Carnot vint en donner lecture à la tribune de la Convention : « La ville de Condé est restituée à la République ; la reddition a eu lieu ce matin à six heures. »

Bien que l’histoire politique de la Révolution, — la seule écrite jusqu’ici, — ait, suivant sa coutume pour tout ce qui n’est pas la lutte voyante et bruyante des partis, à peine mentionné l’inauguration du télégraphe aérien, ce succès national excita grande jalousie à l’étranger ; il parut en Allemagne des pamphlets pour décrier la machine de Chappe et en démontrer l’absurdité. A la tête de ce mouvement, Bergstrasser, l’auteur de la synsématographie, écrivait au roi de Prusse : « Le télégraphe sert à amuser les Parisiens qui, les yeux fixés sur la machine, disent : Il va ! Il ne va pas ! » Il alla pourtant, mais on a peine à comprendre comment. Tout manquait à Chappe, l’argent surtout, quoique son administration naissante parût disposer de « 13 millions par an. » Mais au temps où 100 francs valaient 5 sous en assignats et 0, 60 centimes en mandats « territoriaux » du Directoire, ces 13 millions de papier représentaient à peine 90 000 francs en numéraire.

La ligne de Strasbourg exigeait 6 000 livres de fil de laiton ; Chappe en obtint 300 et imagina d’y suppléer en empruntant aux mobiliers confisqués, épars dans les magasins nationaux, les cordes de métal employées naguère à la suspension des lampes. A Metz, lorsque déjà la toiture du bâtiment où siégeaient les administrateurs du district était enlevée pour faire place à l’échafaudage du télégraphe, le travail fut interrompu faute de fonds, et les fonctionnaires, faute de toit, allèrent siéger ailleurs. L’an VI enfin, à l’occasion du Congrès de Rastadt, le Directoire délivra 176 000 francs en numéraire pour la construction de cette ligne de 600 kilomètres, comprenant 46 postes de Paris à Strasbourg ; elle fut achevée en 5 mois. Les baraques étaient en bois ; celles de la ligne de Paris à Brest furent construites la même année, en maçonnerie, au nombre de 55 sur un parcours de 870 kilomètres. Trois lignes fonctionnaient au