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Gambetta descend de sa chaise, et les députés conservateurs lui prennent les mains, en le remerciant : « Vous avez tenu un excellent langage ! »

L’un d’eux, informé de l’acquiescement de Schneider à la séance de nuit, lui dit à l’oreille : « Annoncez-leur cela ; cela les calmera » Gambetta remonte sur sa chaise et donne la nouvelle ! On lui répond par des bravos frénétiques : « Vive Gambetta ! Vive le Corps législatif ! — Maintenant, reprit Gambetta, je vous en conjure, retirez-vous. Laissez les représentans de la nation délibérer. Dégagez cette grille. Je vous le répète, nous saurons tous faire notre devoir ! » La majorité des manifestans se retira sans un murmure, ni un cri, et ceux qui restèrent se répartirent pacifiquement sur la place de la Concorde en groupes peu nombreux.

Schneider était entré dans la salle en redingote et en cravate noire, sans grand cordon ; le roulement de tambour réglementaire ne l’avait pas annoncé ; dans les tribunes désertes, on n’apercevait qu’une dame ; les députés entraient sans dire une parole, la consternation peinte sur le visage ; un silence morne régnait. Dès que le président eut, en lisant avec peine une note écrite, expliqué les raisons et l’objet de la convocation, Palikao se leva et dit d’un ton amer : « L’armée, après d’héroïques efforts, a été refoulée dans Sedan ; elle a été environnée par une force tellement supérieure qu’une résistance était impossible ; l’armée a capitulé, et l’Empereur a été fait prisonnier… En présence de ces événemens si graves, si importans, il ne nous serait pas possible, a nous ministres, d’entamer ici une discussion relative aux conséquences sérieuses qu’ils doivent entraîner. Par conséquent, nous demandons que la discussion soit remise à demain. Vous comprenez que nous n’avons pu nous entendre entre nous, car on est venu m’arracher de mon lit, pour m’annoncer qu’il y avait séance. » On se regardait avec stupeur ; plus d’un se rappelait que, le soir où arriva à Paris la nouvelle de Wœrth et de Forbach, les précédens ministres, au lieu d’aller se coucher, avaient immédiatement convoqué les membres du Conseil privé, les généraux Chabaud-Latour, Trochu, et avaient, sous la présidence de l’Impératrice, passé la nuit en délibérations, de telle sorte que la population avait appris en même temps et les défaites et les mesures adoptées pour en conjurer les conséquences.

Aucun membre de la majorité n’était prêt à prendre