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finit cette comédie, peut-être un peu plus indulgente qu’il ne faut à l’imposture, voire à l’escroquerie, mais qui célèbre et récompense, ainsi qu’il convient, le mépris des biens de ce monde et l’amour désintéressé.

Nous en voulons un peu, beaucoup même, à M. Rabaud d’une chose, d’une seule : la « réduction » de son œuvre, — si cela peut s’appeler réduire, — pour piano et chant. Comment a-t-il pu rendre, non pas sans doute impossible, mais plus que malaisée à lire, une œuvre si facile, si agréable à entendre ! Sous prétexte (on l’assure du moins et il en convient) qu’il n’est pas du tout pianiste, il a traité sans ménagemens ceux de ses pauvres lecteurs qui se flattent de l’être un peu. Et puis et surtout, nous réclamons pour la musique elle-même, qu’une transcription de ce genre est de nature à compromettre, si ce n’est à calomnier.

Cela dit, il a bien de l’esprit, M. Rabaud, et du plus fin, et du plus français. Il en a comme un Saint-Saëns, comme un Pierné, pour ne citer que deux de nos musiciens spirituels, et peut-être faute d’en trouver plus de deux. Il en a dès le début, dès la querelle de Marouf avec sa « calamiteuse. » Par la vie et la verve, le premier thème de cette dispute conjugale ressemble au thème, initial aussi, du merveilleux Falstaff. Il est fait de notes sèches et revêches, piquées sur des harmonies aigres à dessein, jetées en cascade à travers de sautillans accords, des modulations fuyantes et fantasques, mais dont une pensée maîtresse autant qu’une main sûre ont réglé la suite et la fantaisie. Qu’importe les hardiesses de l’écriture ou du style harmonique, ou plutôt vive ces hardiesses mêmes, lorsque la raison, la logique en rend compte et les justifie.

Mais l’esprit n’est pas seulement la force comique et le don du rire : il est encore le tact et le goût, le sens affiné de la mesure et des proportions. Même ainsi, la musique de Marouf est spirituelle. De l’entrée ou de la sortie du moindre personnage, d’un mouvement de scène, d’une réplique (de la voix ou de l’orchestre) elle sait faire une chose charmante. Le rôle entier de Marouf est parsemé des plus justes, des plus agréables accens. Il n’y a. pas une situation, pas un type, que cet art discret exagère. M. .Rabaud n’est pas homme à déranger, à déchaîner tout un orchestre pour amener chez Marouf un groupe de voisins et d’amis. Il donne un ton familier sans bassesse à l’entretien du savetier avec un brave pâtissier, son compère. En toute rencontre il garde le ton de la comédie musicale, et comme jamais il ne descend à la trivialité de l’opérette, il ne vise nulle part à la