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moi ! — Général, répond Gouzien, il n’est pas question de manquer à votre serment : vous devez protéger les Tuileries. — Oui, monsieur, et je le ferai. — Mais, si vous le faites sans mort d’homme, vous n’en serez pas fâché ? — Non, certes. — Eh bien ! permettez-moi de vous en indiquer le moyen. Mais avant tout, l’Impératrice est-elle encore au château ? — Non, elle vient de partir. — Alors, général, amenez le drapeau. Puis remplacez la garde impériale par des gardes nationaux et des mobiles et soyez sûr que le palais sera respecté. » Le général goûte le conseil, ordonne d’abaisser le drapeau et de faire avancer les mobiles établis au Carrousel.

Cependant la foule, voyant de loin la conversation et supposant qu’elle n’a plus à redouter de fusillade, s’enhardit et accourt au pas de course. Il s’agit de l’arrêter jusqu’à l’arrivée des mobiles. Mellinet monte sur une chaise et la harangue à son tour. Une immense acclamation l’interrompt : c’est la garde impériale qui se retire, ce sont les mobiles qui apparaissent. Le général descend de sa chaise, fait ouvrir la grille du jardin réservé. La foule s’élance vers le palais qu’on semble lui livrer, mais elle se trouve entre une double haie de gardes mobiles, qui ne laisse libre qu’un large couloir entre deux rangs de fusils. Emportés par leur élan et forcés d’aller droit devant eux jusqu’à la sortie, nos braillards se retrouvent sur l’autre face du palais, dans la cour du Carrousel, et se dépêchent de gagner la rue de Rivoli. Sur-le-champ des écriteaux étaient apposés sur lesquels on lisait : « Mort aux voleurs ! vive la République ! respect aux propriétés de l’Etat ! » La foule continua à se donner la satisfaction de traverser le palais sous le pavillon de l’Horloge. « Cette foule était bigarrée ; il y avait en elle plus de curiosité que de passion. »

Les Tuileries, pas plus que le Palais législatif, n’avaient été pris par l’émeute ; elles furent livrées. Si ceux qui étaient préposés à leur garde avaient employé les forces dont ils disposaient, elles n’eussent pas été envahies. Le départ de l’Impératrice brisa la volonté vaillante de Mellinet, comme l’abstention de Palikao désarma le courage de Caussade ; on ne doit incriminer aucun de ces généraux. Les Tuileries cependant furent préservées de la souillure émeutièrc. Le préfet de police vint dans la soirée y apposer les scellés. Il trouva sur le bureau de l’Empereur la photographie de Guillaume et de Bismarck avec dédicaces.