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Lorsque le nouveau gouvernement sortit de son réduit et annonça qu’il était constitué, un autre gouvernement, formé par Delescluze, se dressait déjà en face de lui. Mais Jules Favre jouissait d’une telle popularité qu’il lui suffit de paraître pour que les démagogues descendissent des escabeaux où ils s’étaient hissés et rentrassent dans l’ombre. Félix Pyat voulut essayer de protester ; il fut foudroyé par un discours de Gambetta.

Le gouvernement était institué, mais il n’existerait en réalité que lorsque Trochu y aurait adhéré. Le voudrait-il ? On délégua vers lui, du consentement unanime, Rochefort et Glais-Bizoin. Trochu était devenu l’arbitre de la situation. Où il allait se porter irait l’assentiment public, où il ne serait pas ne viendraient ni l’armée ni le peuple, pas même Paris et encore moins la France. Revêtu, depuis sa rentrée au Louvre, de l’habit bourgeois, il se demandait s’il allait garder définitivement cet habit et rentrer dans la retraite, ou s’il allait reprendre l’habit militaire avec une nouvelle investiture. Il ne croyait pas qu’il dût briser son épée, alors que les Prussiens arrivaient à marches forcées. Cependant, l’ambassadeur de l’Hôtel de Ville, Glais-Bizoin, lui ayant exposé sa mission et dit les noms de ceux qui allaient détenir le pouvoir, Trochu ému resta un moment pensif. Il demanda quelques minutes, entra dans la pièce où se tenait sa femme et lui dit : « Que faut-il que je fasse ? L’heure qui devait venir est venue. Tu as toujours été associée aux actes de ma vie et tu as toujours mêlé le sentiment du devoir et de l’honneur à ta tendresse, à ton dévouement. Que faut-il que je fasse ? — Fais ton devoir, répond Mme Trochu, va à l’Hôtel de Ville. » Et il partit en bourgeois, en voiture. — « Adieu, dit-il à son chef d’état-major, je ne sais pas si nous nous reverrons ; je vais faire le Lamartine là-bas ! » (5 heures.)

Ce fut avec une immense joie que les membres du gouvernement nouveau le virent entrer dans la petite pièce où ils s’étaient réfugiés contre les assauts de la multitude. Ils lui proposèrent de devenir ministre de la Guerre : « Si vous y consentez, demain, à votre nom se rallieront les officiers et les soldats, et l’ordre pourra être maintenu dans Paris. » Trochu, n’entendant plus parler du Corps législatif, le supposa dispersé, disparu comme l’Impératrice, et demanda seulement aux chefs improvisés de l’État s’ils étaient décidés à sauvegarder la propriété, la famille, la religion. On lui répondit affirmativement.