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Ayant reçu du pauvre Empereur une lettre pleine d’effusions de regret sur mon renversement et de gratitude pour mes services[1], je lui écrivis : « Sire, je n’essaierai pas de vous exprimer les sentimens que me fait éprouver votre infortune : il est des malheurs auxquels aucune parole ne peut s’égaler. Je me tais et je souffre avec vous. — J’ai été obligé de m’éloigner pendant quelque temps de France, j’emploie mes douloureux loisirs à préparer un écrit dans lequel j’établis : 1° Que Votre Majesté ni moi n’avons voulu la guerre pour prendre le Rhin ou mettre obstacle à l’unité allemande ; 2° Que nous ne l’avons déclarée que forcés par le procédé du roi de Prusse, « par la réponse d’Ems, » comme dit avec orgueil Mommsen dans une lettre inique adressée aux Italiens pour leur prouver que l’Allemagne doit s’attacher aux flancs l’Alsace et la Lorraine ; 3° Que nous ne l’avons ni cherchée, ni préméditée, mais subie malgré nous et avec désespoir ; 4° Qu’après le roi de Prusse, les véritables auteurs de la guerre sont ceux qui soutiennent depuis quatre ans que Sadowa est une défaite française, contre moi qui ai toujours défendu et reconnu le droit de l’Allemagne de se constituer librement en vertu du principe des nationalités. Courage, Sire, le bon droit était de notre côté ; nous n’avons été ni provocateurs, ni injustes. La Providence a prononcé contre nous, inclinons-nous avec résignation et confiance. Peut-être notre pays gâté par de longues prospérités avait besoin de cette épreuve. Si le roi Guillaume était aussi grand qu’il a été heureux, il mettrait dans sa victoire autant de modération que vous en eussiez mis dans la vôtre, et il assurerait une longue paix au monde ; mais, hélas 1 il sera sans pitié. Je rentrerai en France dès que cela sera possible. Je ne saurais dire combien je souffre de rester simple spectateur d’une lutte au succès de laquelle mon activité n’aurait peut-être pas été inutile. — Que Votre Majesté soit convaincue que je suis d’un cœur bien affectueux son tout dévoué serviteur et ami. » (De Pollone, 17 septembre.)

Sans espérance d’être écouté, suivant un de ces élans de cœur auxquels on ne résiste pas en certaines heures de détresse, j’écrivis aussi au roi de Prusse :

« 1er octobre 1870. Sire, vous avez été heureux, soyez grand !

  1. Voyez Empire libéral, t. XVI, p. 505.