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de règne, avoir favorisé et combattu par sa diplomatie chacun des grands Etats de l’Europe. L’alliance franco-russe qu’il n’avait pas su, ou pas voulu faire, faute de laquelle il dut subir une défaite écrasante, apparut plus que jamais nécessaire au lendemain de cette crise[1]. »

Cependant, à ce moment, des obstacles semblaient rendre l’alliance très difficile, sinon impossible. La Russie, qui avait obtenu, de la Prusse et de la Conférence de Londres, l’abolition du principe de la neutralité dans la Mer-Noire, avait cru devoir entrer dans l’alliance dite des Trois Empereurs et accepter de maintenir le statut territorial au profit de la Prusse et de combattre avec elle la Révolution et ses adeptes en tout pays. Mais la question d’Orient restait encore l’objet d’un différend entre la Russie et l’Autriche, et l’hégémonie allemande, qui s’affirmait partout, lourde et menaçante, commençait à déplaire aux Russes aussi bien qu’à d’autres peuples. On s’apercevait que l’ambition germanique n’était pas encore satisfaite et qu’elle préparait d’autres aventures. L’alerte de 1875, à propos de laquelle Alexandre II donna la main à la reine Victoria pour empêcher la Prusse de se jeter sur nous, puis les incidens du Congrès de Berlin où Bismarck commit la faute de blesser la Russie en lui faisant enlever une forte partie du bénéfice des victoires remportées dans la guerre contre la Turquie, firent oublier les fautes commises par le gouvernement impérial. Dès lors, le rapprochement entre la Russie et nous, pour devenir une alliance définitive, ne fut plus qu’une question de temps et d’habileté.

La formation de la Duplice, qui allait devenir la Triplice en 1881 par l’adhésion de l’Italie, eut un effet très heureux pour l’avenir de l’alliance franco-russe. Gortchakof, qui avait mille raisons de se défier des intrigues allemandes, ne cessait de nous répéter : « Soyez forts, soyez très forts ! » et laissait entendre que l’accord serait à ce prix. Mais, malgré la venue du grand-duc Nicolas à Paris en 1880, une certaine défiance contre la République subsistait encore à Saint-Pétersbourg. L’ambassade française envoyée au couronnement d’Alexandre III fut cependant accueillie avec une grande cordialité. Le remplacement de Gortchakof par M. de Giers, qui avait plutôt des sympathies pour l’Allemagne, n’augmenta pas les chances de

  1. Revue des Études historiques, nov.-déc. 1913.