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Il déclara que la France entendait uniquement se préserver contre toutes les aventures possibles. Et comme M. de Munster persistait à nier la nécessité de l’alliance franco-russe, il ajouta : « Que vous ne veuillez pas nous attaquer, je vous crois. Mais avec votre nouvel Empereur, qui sait ce qui peut arriver ? » C’était le moment où Guillaume II venait de congédier le prince de Bismarck et où bien des personnes lui prêtaient des vues ambitieuses et guerrières. » Détrompez-vous, s’écria alors la comtesse Marie qui suivait attentivement la conversation, je connais Guillaume. J’ai souvent joué avec lui, quand j’étais enfant. Il a des sentimens hautement religieux. Jamais il ne prendra l’initiative de la guerre. » Et l’ambassadeur s’empressa de confirmer le jugement et les dires de sa fille.

Cette conversation fit impression sur M. de Freycinet, mais il conserva des doutes sur les affirmations qu’il venait d’entendre. « La sécurité d’un grand peuple, se disait-il, ne doit pas reposer sur la bonne volonté d’autrui. Elle doit résider dans les précautions qu’il sait prendre par ses armemens et ses alliances. » Et mettant en pratique le vieil adage : « Gouverner, c’est prévoir, » il travailla à rendre plus étroit encore le rapprochement avec la Russie. Il communiqua ses vues à M. Ribot qui, avec sa haute compréhension des affaires et sa prudence innée, les apprécia justement et se montra non moins désireux que lui de faire cesser l’isolement de la France, isolement dont tous les bons esprits se plaignaient. M. Valfrey, publiciste estimé, avait affirmé, peu de temps auparavant, que notre politique extérieure n’existait plus. L’idée se répandait en effet à l’étranger que tout était incertain et instable chez nous et que nul n’y voyait clair. Il fallait en finir avec cette diplomatie obscure ou aveugle. M. de Mohrenheim contribua fortement à cette transformation, car il ne cachait pas qu’il était venu en France pour travailler à un rapprochement sérieux.

Le 11 mars 1891, le grand-duc Nicolas, feld-maréchal des armées russes, tint à voir lui-même M. de Freycinet. Ses capacités militaires, sa franchise, sa connaissance parfaite de la langue française rendaient sa conversation et son commerce attrayans. Il déclara qu’il s’intéressait de tout cœur à l’armée française et il ajouta même : « Si j’ai voix au chapitre, les deux armées n’en feront qu’une en temps de guerre. Et ceci étant bien connu empêchera la guerre, car personne ne se souciera