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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/393

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Etre papistes, à partir de mai 1536, c’était braver les deux souverainetés de Genève, les magistrats et le peuple ; et puisque le peuple voulait vivre selon l’Evangile, une voix allait s’élever pour lui signifier ce que ces mots impliquaient.

Ce fut la voix de Jean Calvin. Il traversait Genève, en juillet, pour y saluer Farel. L’accueil qu’il venait de trouver à la cour de Ferrare et le bruit que faisait la première édition de l’Institution chrétienne lui créaient un prestige. On appréciait déjà, dans ce maigre et pâle jeune homme de vingt-sept ans, le théologien qui semblait assister aux conseils de Dieu, le politique qui, sans paraître, influait parfois au loin sur les conseils des hommes. Farel lui fit un devoir de rester à Genève, et de « ne pas préférer son repos à Jésus-Christ. » Et Calvin, croyant que par la bouche de Farel Dieu parlait, défit son bagage. Tout en commençant de donner quelques lectures en théologie, il regarda cette ville, sans tendresse, d’un œil de professeur morose : il constata qu’elle s’était émancipée de Rome, mais qu’elle se marchandait à Dieu, et que certains Genevois semblaient mal résignés à se passer de messe, et que d’autres expédiaient leurs enfans hors de Genève, pour les faire élever dans la foi catholique.

Ces hommes ne savaient pas ce qu’ils avaient acclamé, ce qu’ils avaient promis ; il allait le leur dire, le leur faire redire par les magistrats, et les faire jurer à nouveau, mais jurer, cette fois, individuellement et non plus collectivement, en fidèles sujets de la jeune Eglise, et non plus en membres du peuple souverain. On connaîtrait ainsi ceux qui aimaient mieux « être du royaume du Pape que du royaume de Jésus-Christ. » Et la formule de confession de foi qu’en avril 1537 les prédicans apportèrent aux magistrats contraignit tous les Genevois de jurer un à un, dans leur maison, devant le dizenier de leur quartier, qu’ils considéraient l’intercession des saints « comme superstition, » les sacremens comme « fables et mensonge, » la Messe du Pape comme une « ordonnance diabolique, » les Eglises papistes comme « synagogues du diable, » et toute leur vie comme devant être « réglée au commandement de la Sainte Loi de Dieu. »

L’été de 1537 fut dur pour les consciences. Nous avons au baptême juré d’être chrétiens, objectaient quelques-uns ; pourquoi jurer encore ? Et d’autres, avec une sincérité qu’on eût