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Le traduire, le commenter, le présenter aux fidèles, avait été longtemps le droit exclusif de l’Église romaine. Calvin ne prétendait pas qu’il eût hérité de ce droit, mais en fait il l’exerça, semblant se prévaloir, parfois, d’une sorte de « grâce. » Tant qu’il y aura des protestans, et tant qu’ils discuteront entre eux sur la valeur du texte biblique, ils se renverront les uns aux autres des phrases également décisives de cet imposant docteur. Les uns citeront les passages dans lesquels il remontre que c’est en nous appuyant sur le témoignage secret du Saint-Esprit que nous saluons dans l’Écriture la Parole de Dieu ; et l’on peut assurément trouver dans ces passages le lointain point de départ de beaucoup de théories actuelles, d’après lesquelles l’expérience religieuse discerne ce qui à ses yeux est parole de Dieu, d’après lesquelles la conscience est juge de la Bible. Mais si le témoignage secret du Saint-Esprit, tel que le percevaient en s’auscultant les consciences genevoises contemporaines de Calvin, n’était pas conforme aux commentaires mêmes du maître, elles couraient un risque formidable : l’excommunication, l’exil, l’enfer.

Car il y a dans l’œuvre de Calvin, — et c’est ce que relèvent volontiers d’autres théologiens de la Réforme, — un sermon contre « ceux qui font des gambades à l’encontre de Dieu et qui prétendent juger selon leur entendement des saints mystères de Dieu, et qui osent dire que les choses ne leur semblent pas bonnes et propres : » Calvin veut qu’ils soient « tenus en bride courte, et que Dieu ait toujours la vogue. » Et, bien qu’il se soit donné le droit de proscrire du Canon certains livres, il semble bien qu’il ne permette d’attaquer aucun des autres, et qu’il veuille qu’aux yeux de tous, la parole de Dieu et ce que lui, Calvin, dit être l’Écriture sainte, soient considérées comme intégralement identiques. Le voilà donc s’insurgeant d’avance contre les critiques et contre les exégètes, « ouvrant d’avance la porte, a-t-on pu dire, aux théories sur l’inspiration littérale de la Bible. » Et pour faire un pas de plus, le voici s’insurgeant contre les déviations du mysticisme : l’Institution contient un chapitre terrible, contre « ceux qui quittent l’Écriture pour voltiger après leur fantaisie, sous ombre de révélation du Saint-Esprit. » Mais ces révélations dont l’âme fait étalage, qui donc distinguera si elles ne sont qu’une ombre fallacieuse, offusquante pour la vérité ? Nous touchons ici à ce que Strauss