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législatif. La police refusa. Si le général avait également refusé, les gardes nationaux eussent forcé la consigne et il eût fallu dégainer. Regardant autour de lui, n’apercevant ni un chef militaire ni un ministre pour le soutenir, se voyant cerné par une multitude grossissante, convaincu que le carnage dont la nécessité s’imposait serait inutile, le vieux chef, par scrupule d’honnêteté, ordonna à la police de se retirer et de livrer passage au bataillon de garde nationale : « Jamais, a dit Thiers, je n’ai vu une révolution accomplie aussi aisément et à moins de frais. »

A l’approche des gardes nationaux, le bataillon des gardes de Paris, qui longeait le jardin de la présidence, courut aux faisceaux et mit la crosse en l’air. Les affidés du dedans ouvrent la grille ; les soldats de ligne stationnés dans la cour lèvent la crosse en l’air ; la foule se rue sur les pas de la garde nationale, se répand dans les couloirs, dans la salle des conférences, dans les bureaux, dans les tribunes, aux cris de : « Déchéance ! » mêlés à ceux de : « Vive la France ! Vive la République ! » De tous les côtés, portes, vitres, volent en éclats. Dans la salle il y avait à peine quinze députés. Au banc des ministres, Palikao ; au fauteuil de la présidence, attendant l’ouverture des débats, Schneider debout les bras croisés. « On n’avait pas affaire à la foule des jours d’émeute[1]. » « Beaucoup d’hommes point mal vêtus[2] ; » d’autres très distingués et du plus grand monde[3]. Les questeurs Hébert, le général Lebreton courent de toutes parts, effarés, ne sachant où donner de la tête. Hébert supplie les orateurs populaires d’intervenir et d’arrêter les envahisseurs. Picard monte sur une chaise dans la salle des conférences, réclame la liberté de délibérer, annonce qu’une commission est nommée, qu’elle prononcera la déchéance et instituera un gouvernement provisoire. On le bouscule, on déchire sa redingote. « Ce n’est rien, dit-il à la Chambre en souriant, la peau est intacte. »

  1. Kératry.
  2. Thiers.
  3. Cluseret, Mémoires, La fin de l’Empire, p. 229. « La Révolution se fit à l’amiable, sous le manteau de la cheminée, par la bourgeoisie représentée par les députés de Paris et par la garde nationale. Le peuple y fut complètement étranger. » La même appréciation se retrouve dans le journal même de la bourgeoisie, le Figaro (6 septembre) : « La Révolution qui substitua la République à l’Empire a été faite par l’élément conservateur de Paris, par la bourgeoisie armée, c’est-à-dire par la garde nationale. »