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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/402

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La ville de Genève, dans les derniers mois de 1541, commença de goûter ces terreurs et ces joies.


IV

Rien de commun entre la Genève que retrouvait Calvin et ces communautés de saints, ces mystiques groupemens d’ « éveillés » ou de « réveillés, » où plus tard en Angleterre les organisateurs puritains dépenseront leur zèle. Combien, parmi ces Genevois, devaient ne plus trop savoir où résidaient leurs âmes ? L’indifférence, le libertinage, avaient progressé. Dès le premier jour où de nouveau Calvin fut là, les magistrats s’accordèrent avec lui pour donner à l’Église une organisation : les ordonnances de novembre 1541 constituèrent l’Eglise. A peine laissa-t-on le temps au peuple de les examiner : il dut tout de suite dire Amen. Elles précisaient la façon dont Dieu régnerait, non seulement sur les âmes individuelles, mais sur les rapports entre les âmes, sur la société. L’Etat de Genève devait être un Etat chrétien ; la société civile devait être intégralement composée de tous les chrétiens membres de la société religieuse, et de ceux-là seuls. Dans l’une et l’autre, il fallait que la parole de Dieu régnât. Les ministres du culte se réputaient qualifiés pour l’interpréter : en conséquence, ils signalaient à l’Etat les infractions dont elle était victime, et les applications politiques dont elle était susceptible. Mais inversement, comme en théorie il n’y avait plus de sacerdoce, les magistrats, réputés agissant au nom du peuple, pouvaient, chaque fois que la compagnie des pasteurs s’adjoignait un nouveau membre, l’accepter ou le refuser ; ils pouvaient déposer les pasteurs ; ils contribuaient ainsi à la création de ce pouvoir religieux qui, la Bible en mains, rappellerait au pouvoir civil : Voilà ce que Dieu veut, voilà ce que Dieu dit. Les pasteurs ne parlaient de Dieu dans l’Etat que parce que l’Etat y consentait-Mais, forts de ce consentement, ils aspiraient à courber l’Etat sous le verbe de Dieu. Ils relevaient de l’Etat, comme traducteurs de Dieu ; mais l’Etat relevait de leur traduction même. Et quand ce pouvoir appartenait à un Calvin, le traducteur devenait altier, et régnait en fait sur l’Etat, maître de ses fonctions, au nom de Dieu, maître de sa conscience. A Bâle, le souvenir de David, qui avait commandé aux Lévites, et le