Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

équivalente à celle qu’elles avaient sacrifiée. Quant aux autres, celles qui emménageaient, elles apparaissaient à Calvin comme le sel qui convenait pour l’aride terre genevoise. Une cité chrétienne idéale, sous l’action des prédicans et des bourreaux, devait enfin s’édifier sur l’emplacement de la Genève papistique : par cela même qu’elle deviendrait un sûr asile pour les membres du Christ, elle devait être, d’après le rêve de Calvin, un indestructible sanctuaire pour Dieu. Ces étrangers qui avaient souffert, qui avaient fait leur preuve, pour la gloire du Dieu de Calvin, devenaient ainsi comme les pierres de choix, comme les assises élues. Religieusement parlant, c’était naturel, mais comment s’étonner qu’un certain nombre de Genevois, insuffisamment accessibles à ces considérations religieuses, souffrissent de cette intrusion comme d’un affront ?


V

Ils pouvaient souffrir, mais en silence : gare à eux s’ils parlaient ! Le Consistoire avait des oreilles ouvertes, et des sentences prêtes. « S’il y avait la guerre, disait un garçon pharmacien, je frapperais plus fort sur les Français que sur les ennemis. » Il eut a s’expliquer devant le Consistoire, et le Consistoire, encore, eut à s’occuper de cet autre Genevois qui voulait prendre un bateau, y mettre tous les Français, et les « envoyer par le Rhône, à val. »

En 1546, un fabricant de cartes à jouer nommé Pierre Ameau, mécontent que, depuis l’arrivée de Calvin, son commerce ne marchât plus, déclarait après boire que ce prédicant « n’était qu’un méchant homme, un Picard, et qu’il prêchait une fausse doctrine. » Il fut jeté en prison, et les magistrats crurent venger Dieu et Calvin en forçant Pierre Ameau de comparaître devant eux, Calvin étant là, et de se mettre à genoux, et de « demander merci à Dieu, à la justice et au dit Calvin. » Mais le dit Calvin se cabra, déclara le châtiment insuffisant, et finalement Ameau dut d’abord faire tout le tour de la ville en chemise, tête nue, une torche en mains, et venir ensuite demander son pardon, genou en terre, devant Calvin.

Parmi ceux-là mêmes qui avaient, en 1540, travaillé le plus activement au retour du réformateur, les soubresauts de mécontentement s’accentuaient. Ces Genevois avaient cru