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d’un prophète jéhoviste et le renom d’un fondateur de cité.

C’est parce que le procès de Servet avait fait resplendir en Calvin le définiteur de la Foi qu’il avait pu demeurer, dans cette Genève souvent indocile, le définiteur des rites, des mœurs et de la vie ; la victorieuse intolérance que la postérité lui reproche fut ainsi, en réalité, la consécration de sa puissance, aux regards des Genevois de son temps. C’est parce que Calvin, illogique à l’endroit même du principe de la Réforme, s’attribua le rôle dogmatique d’un Paul IV ou d’un Pie V, qu’il put jouer expressément, après de nombreuses luttes, le rôle moral d’un Savonarole, et qu’il put forger et discipliner Genève à la guise de Dieu, c’est-à-dire à la sienne.

La vie qui passe est faite d’illogismes, mais les illogismes n’ont jamais eu pour eux l’éternité. C’était un illogisme qu’une « Rome protestante. » Ce substantif évoque les idées de discipline, d’autorité ; cette épithète encourage les exubérances de l’individualisme ; ces deux mots, à la longue, devaient s’offusquer entre eux. C’était un illogisme, aussi, sous le règne de l’Évangile, qu’un peuple-Eglise : des circonstances extérieures créent un peuple ; l’Eglise, elle, vise à grouper des vies intérieures ; ces deux mots étaient destinés à s’entre-heurter, et tôt ou tard, fatalement, il fallait que l’un des deux bousculât et supprimât l’autre. Tels étaient les germes de dissolution que portait en elle la personnalité religieuse de Genève, telle que Calvin l’avait mise au monde. Quelque temps durant, Genève les contiendra, Genève les refoulera, sans d’ailleurs pouvoir les annihiler. Mais les contradictions éclateront ; les savantes alliances de mots, « Rome protestante, » « Église-peuple, » masques faciles pour l’illogisme, se briseront. Ces germes alors feront leur œuvre ; après d’émouvans efforts de défensive, la personnalité religieuse de Genève se dissoudra, et lentement, par étapes, elle subira la destinée de tout ce qui est humain.


GEORGES GOYAU