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le doute : métaphysique et théologie lui sont lettre close. « Mon esprit est comme une société commerciale limitée (limited) dans sa responsabilité quant à l’existence de l’inconnaissable, » dit-il. Il écrit à Gladstone : « Le sécularisme a été inventé pour substituer l’inspiration éthique à la théologie inopérante. J’espère qu’il y a une vie future, et s’il en est ainsi, le fait que je n’en suis pas sûr ne l’empêchera pas de venir à moi. Je ne vois pas de meilleure manière de la mériter que de servir consciencieusement l’humanité. La croyance en un Dieu personnel est un bien précieux. Toute conviction est force. Mais ce ne peut être une offense au Dieu de vérité que ne pas dire qu’on sait ce qu’on ne sait pas… J’avoue que l’ignorance est une privation ! Mais accepter de ne pas savoir, quand le savoir vous est refusé, ne semble être qu’un des sacrifices que nous impose le respect de la vérité. » A quoi Gladstone avait, semble-t-il, répondu par avance lorsqu’il avait écrit sur le même sujet à Holyoake qu’il lui semblait « qu’un tel sécularisme devait toute sa « matière » au christianisme, dont il était une représentation par amputation, et qu’il n’aurait jamais pu exister sans l’Evangile. »

Autre contraste avec Bradlaugh : Holyoake n’admet l’agnosticisme que lorsqu’il est soutenu, élargi, par une vigoureuse action sociale ayant pour but le progrès humain, surtout la culture et la formation des caractères. S’il rejette ce qui est au-dessus du monde, du moins veut-il réserver toutes ses forces pour l’amélioration matérielle et morale de l’humanité souffrante. « Il faut, dit-il, compenser l’infériorité d’un sécularisme négatif en se dévouant activement à une culture rationnelle en matière d’art, de science et de moralité. On ne vient pas en aide à un homme faible ou malade en jetant simplement au feu ses béquilles : il faut lui fortifier les membres. » La grande affaire est d’améliorer cette vie-ci par des moyens matériels, par la science, la vraie providence de l’homme, par l’éducation, la toute-puissante éducation, par la propagande sociale. Au cri populaire en ce temps-là à Londres : « Plus de papisme, » il veut substituer cet autre : « Plus de pauvreté. » Au lieu et place de la thèse destructrice de Bradlaugh, il entend mettre, en bon oweniste, une doctrine et une action positive et bienfaisante. La vraie religion à ses yeux, c’est la religion de l’humanité.

Ce qui enfin est remarquable chez Holyoake, c’est le caractère de modération, d’équité, de fairness, qu’il apporte à l’exposé