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coopératives britanniques, dans leur ensemble, avaient une somme d’environ 40 millions de francs placée en valeurs mobilières : on se demande ce qu’auraient pu faire de mieux de simples sociétés anonymes ?


VII

Limitée dans son action par ses caractères intrinsèques comme par les conditions extérieures, la coopération n’en a pas moins à jouer de nos jours un rôle important et utile dans la vie économique et sociale, ainsi qu’il résulte de l’exemple de ce qu’elle a réussi à faire en Angleterre. Elle ne révolutionnera pas la société, elle n’abolira ni la concurrence ni le capitalisme, elle ne supprimera ni le commerce privé ni l’industrie libre. Elle remplit cependant, et remplira sans doute de plus en plus, une place considérable. Née de l’effort des travailleurs seuls, non seulement elle procure aux consommateurs associés, comme nous l’avons dit, de notables avantages matériels, mais elle supprime des intermédiaires inutiles, elle régularise dans une certaine mesure la distribution des richesses en tendant à établir un « juste prix » des marchandises, elle exerce sur le commerce local, de même que sur la condition des salariés, une influence heureuse en luttant contre la fraude des denrées et contre le sweating des ouvriers.

Au point de vue social, elle est à la fois une école mutuelle d’administration et un instrument d’éducation individuelle : le consommateur associé acquiert dans la coopération le goût de l’ordre, de l’exactitude, de l’économie, il apprend à faire usage de sa libre initiative, à prendre des décisions et à assumer des responsabilités, il se forme à la pratique des affaires, au contrôle et à la direction des hommes et des choses. Si l’on ne peut dire sans exagération qu’elle rapproche les classes, elle rapproche du moins de la petite bourgeoisie une très grande partie de la classe ouvrière, et au sein de cette large et féconde couche sociale, elle agit à la manière d’un instrument de sélection spontanée qui sépare « les abeilles industrieuses des bourdons fainéans » et pousse en avant les hommes les plus intelligens, les plus énergiques, les plus méritans. C’est ici qu’apparait la profonde différence qui sépare de la coopération le socialisme. Celui-ci tend à absorber et à annihiler l’individu au profit de la communauté ; celle-là, au contraire, l’élève et le forme en