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Ville, qui annonçaient que la prise de possession s’était faite sans difficulté et que ses collègues l’appelaient, il rejoignait ses amis devenus les maîtres incontestés du pouvoir.

Durant ces scènes, les troupes établies dans la cour de la rue de Bourgogne étaient demeurées en rangs formés, sans broncher. Quelques envahisseurs, s’étant juchés sur le piédestal de la statue de la Loi, cherchaient à briser à coups de marteau l’aigle qui surmontait la hampe du drapeau : — « Tirons sur ces canailles ! » murmuraient les soldats frémissans. Le capitaine Fleur eut peine à les calmer. On leur hurlait : « Criez : Vive la République ! Allons, soldats ! les amis ! criez ! » Les soldats restèrent silencieux, puis, en une clameur formidable, crièrent : « Vive la France ! » Eugène Peffetan, se rendant à l’Hôtel de Ville, leur dit en passant : « Aies amis ! vous ne tirerez pas sur vos frères du peuple, n’est-ce pas ? » — Des chuchotemens hostiles lui répondant, et le capitaine s’avançant d’un air peu amical, le député de la Gauche coupa court à sa harangue et disparut. Tous les soldats préposés à la défense du gouvernement n’auraient demandé qu’à le défendre, s’ils avaient été commandés. Les députés de la Gauche ne l’ignoraient pas. Les discours circonspects de Jules Favre et les hésitations de Jules Simon démontrent combien les sentimens républicains de la population et de l’armée, par lesquels ils se sont prétendus entraînés, étaient peu certains, et combien ils se souciaient peu de provoquer un conflit militaire dans lequel ils auraient sombré.


XX

Le général Lebreton, un des questeurs, avait, au commencement de l’invasion de la Chambre, songé au général Trochu. Il saute dans un cabriolet, traverse péniblement la foule, aperçoit les soldats de la place, la crosse en l’air, et court d’autant plus vite vers le Louvre. Trochu le reçoit aussitôt. Lebreton haletant lui dit : « Vous seul, si populaire, pouvez dégager le Corps législatif. — Avec quoi voulez-vous que je le dégage ? répond Trochu. Le ministre de la Guerre m’a annihilé. Je ne puis rien. » Il n’avait pas, en effet, un seul soldat à sa disposition. La garde nationale était sous les ordres de son propre chef et du ministre de l’Intérieur ; la police dans la main de