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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/451

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Ce ne sont pas les satisfactions de la victoire qu’il recherche, ce sont les émotions du combat : elles l’excitent, elles l’animent, elles le passionnent, elles l’enflamment : il ira jusqu’au bout, coûte que coûte, et dût-il être victime de sa propre audace.

Autant qu’il a besoin, pour s’exprimer, de la forme dramatique, autant M. de Curel a le goût des idées. Il les aime pour elles-mêmes, en dehors de toute application pratique. Et c’est par-là qu’il se distingue de presque tous ses confrères, j’entends de ceux qui mettent des idées au théâtre. Presque tous, de façon plus ou moins consciente, ils en sont restés à la formule de la pièce à thèse et du « théâtre utile » selon Dumas fils. Ils sont des apôtres et des réformateurs. Ils dénoncent une erreur, un préjugé, une lacune de notre législation, un scandale qui pour eux est le scandale des temps modernes. Ils défont et refont, un jour le mariage et la famille, un jour la magistrature ou le Parlement. Ils travaillent à l’amélioration sociale par les moyens du théâtre. Ils ont trouvé la panacée, et nous la servent au dénouement. Ils bâtissent en cinq actes, ou de préférence en trois, en prose et même en vers, la cité future. Pour la logique, cette méthode laisse beaucoup à désirer : car un cas isolé ne prouve rien et on n’étale pas une démonstration sur un seul exemple. Pour l’effet théâtral, elle est excellente : le spectateur a la sensation qu’étant parti d’un point, il est arrivé au point opposé : il a fait du chemin, tout le chemin, celui qui mène de l’injustice et de l’abus à la justice absolue et au bonheur parfait. Cette manière n’est pas du tout celle de M. de Curel. Il n’a prétendu ni réformer les couvens par l’Envers d’une Sainte, ni galvaniser l’aristocratie par les Fossiles, ni préparer l’avènement du socialisme par le Repas du lion, ni ramener l’humanité à ses premiers vagissemens par la Fille sauvage. Il ne prêche pas, il philosophe. Il amène au jour cru de la scène les idées qui l’intéressent ; il s’en donne le spectacle ; il en dégage la somme de pathétique qu’elles contiennent ; après quoi, la pièce est terminée.

Traduire dans la langue du théâtre quelques-unes des idées philosophiques qui étaient dans l’air au moment où il écrivait, telle a été sa constante ambition. Il y a quinze ans, on parlait beaucoup de la science, non pas entre savans, qui ont mieux à faire, mais entre non-savans : c’était l’époque où plusieurs l’orthographiaient par une majuscule. Les esprits étaient sous l’impression des magnifiques découvertes de Pasteur, qui n’avaient pas seulement abouti à la guérison d’un mal réputé jusque-là incurable, mais qui, par l’avènement des infiniment petits, avaient révolutionné notre conception de l’Univers. Une