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une interprétation du personnage plus hautaine, mais non plus vivante et plus vibrante. Le rôle de Cormier n’est pas sympathique. M. Alexandre lui prête libéralement sa belle prestance et sa belle voix.


Ce que je m’explique moins bien, c’est la reprise, à la Comédie-Française, de la Révolte. Mais il paraît que les temps de la réparation sont venus pour Villiers de l’Isle-Adam. Probablement, Villiers, qui tenait à son ascendance de vieille aristocratie, bretonne et catholique, ne s’attendait pas à ce qui vient de lui arriver : être célébré officiellement par un ministre de la République ; mais, comme disait un autre homme d’État, nous sommes dans l’incohérence. On subit ce petit acte interminable comme un accès de déclamation furieuse. Un mari et une femme font leurs comptes : de la façon dont ils les font, il appert que le mari est peu entendu en affaires, et que la femme est une calculatrice de premier ordre. Minuit sonne. Comme mue par un ressort, la femme se lève et déclare à son mari qu’elle s’en va. Elle le quitte parce qu’il est le Réel, et qu’elle est le Rêve. Une femme qui calcule si bien, et qui, en quatre ans et demi, a triplé la fortune du ménage ! Cela étonne, mais enfin c’est ainsi. Elle en a assez, elle veut vivre. Comme nous dirions aujourd’hui, elle veut vivre sa vie ! En 1870, déjà ! C’est par-là que cette exhumation ne laisse pas d’être assez amusante. Cette révoltée tient déjà le langage de nos actuelles affranchies. Elle quitte mari et enfant pour s’en aller travailler à son perfectionnement moral, comme fera la Nora d’Ibsen… Nora ne s’est pas inspirée d’Elisabeth et les suffragettes du théâtre moderne l’ignorent. Mais le ferment romantique les travaille toutes pareillement et leur fait tenir les mêmes propos, accomplir les mêmes actes… Avant que la nuit ne soit finie, le temps de baisser et de relever le rideau, Elisabeth revient au domicile conjugal. C’est ce qu’elle avait de mieux à faire. Et c’est la preuve qu’en notre pays de France il ne faut jamais désespérer du bon sens.

Mme Segond-Weber a lancé avec une ardente conviction les revendications d’Elisabeth, et M. Mayer en a paru, comme il convenait, littéralement assommé.


RENE DOUMIC.