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livre nous offre déjà, d’ailleurs, un échantillon amplement « étoffé ! » Sur chacun des sujets où a touché l’écrivain français dans la partie purement littéraire de son œuvre, surtout, M. Curtius a soigneusement extrait et juxtaposé, sous leur forme originale, les passages qui lui ont semblé les plus significatifs : de telle manière qu’un lecteur français qui ne saurait point l’allemand n’en trouverait pas moins, dans son livre, quelque chose comme un curieux Esprit de Brunetière, équivalent à ces anthologies dont nos pères se délectaient jadis sous les titres d’Esprit de M. Nicole ou de M. d’Alembert. Et puis, brusquement, dans les dernières pages, les citations s’arrêtent, le susdit lecteur français cesse tout à fait de comprendre, et voici qu’au zélé compilateur des chapitres précédons succède désormais un terrible justicier avec le glaive en main, accablant sous la « rigueur » imprévue de ses « conclusions » l’auteur de toutes ces pensées profondes ou subtiles, de toutes ces vivantes phrases au rythme nerveux qui jusque-là nous avaient ravis, à peine entremêlées de brèves transitions du critique allemand ! Car c’est de cette façon qu’a cru devoir procéder M. Curtius, — d’après une « méthode » qu’il estime évidemment très supérieure en portée « scientifique » à celle des solides « constructions » de Brunetière : tout au long de son livre, il s’est borné à nous exposer de son mieux les opinions de celui-ci, sans presque y ajouter jamais un jugement personnel ; après quoi, au moment où nous supposions qu’il allait résumer dans une vue d’ensemble la doctrine littéraire ainsi analysée, le voilà qui tout d’un coup, changeant d’attitude et se ressouvenant de ses devoirs de critique, nous interdit formellement d’attacher la moindre importance à aucune de ces opinions de toute espèce qu’il a fait défiler, tour à tour, sous nos yeux !


Oui, certes, l’on ne saurait trop déplorer que M. Curtius se soit refusé, par principe, à écouter « les voix des amis ou élèves de Brunetière. » Ces voix « documentaires » lui auraient appris, notamment, l’idée que se faisait de son propre rôle l’écrivain français. C’est ainsi que je me rappelle, pour ma part, la très vive satisfaction qu’il m’a jadis témoignée d’un modeste article où je l’avais loué d’être, parmi nous, autre chose qu’un « critique. » Cela se passait vers 1893 ; et je me rappelle aussi que lui-même m’exprimait encore une opinion analogue bien des années plus tard, au cours de l’un de mes derniers entretiens avec lui. « Voyez-vous, mon bon ami, me disait-il ce jour-là, — mais, hélas ! avec un sourire fatigué et amer, si différent de celui qui illuminait son jeune visage durant nos tranquilles