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que l’on s’y arrête. Ah ! comme je comprends bien la hâte qu’éprouve un amiral français à engager, à la plus courte distance possible, un combat qui sera, dès lors, plus rapidement, plus immédiatement décisif !… Il y a là, avec un juste instinct militaire, une conscience exacte de la mentalité spéciale de nos équipages. Des équipages français, en effet, et quelle que puisse y être la proportion des ponantais et des levantins, n’ont pas, ne sauraient avoir le même genre de courage, d’endurance morale, pour mieux dire, que ceux des marines du Nord ou de l’Extrême-Orient, la japonaise, par exemple : pour le tempérament de nos marins, intelligens, vifs, enthousiastes, mais nerveux et impressionnables, il faudra toujours prendre garde que l’effusion du sang, dût-elle être plus abondante, et la destruction du matériel, dût-elle être plus complète, aient au moins une durée plus brève.

Malheureusement, le type de l’unité de combat actuelle, l’énorme cuirassé d’escadre, et les facultés de l’arme unique à laquelle ce bâtiment sert de véhicule, le canon monstre à très grande portée, excluent à peu près tout autre mode d’engagement que ce combat banal, barbare dans sa simplicité, de deux lignes de file parallèles qui se tiennent obstinément, l’une par rapport à l’autre, aux limites de l’horizon ; lutte étrange et terrible où n’entre en jeu qu’une seule des qualités si diverses de l’instrument humain, le sang-froid, la puissance d’extériorisation qui assure aux pointeurs la tranquille justesse de leur coup d’œil, condition essentielle de la victoire, et au reste du personnel l’exactitude quasi automatique du maniement des appareils, tandis que tous attendent stoïquement la mort qui arrive, qui est là, sans qu’on puisse même discerner d’où viennent ses coups.

Or, cette qualité, précieuse entre toutes, si nous la possédons déjà, certes, à force de discipline, de discipline morale surtout, si nous sentons bien que l’expérience de la guerre, la pratique du combat la perfectionneraient singulièrement ; cette qualité, dis-je, n’est pas de celles où l’âme française marque immédiatement, spontanément, sa supériorité. Non, reconnaissons-le librement. Et donc, ce qu’il nous faut, avec le cuirassé, qui constitue nécessairement l’ossature de l’ordre de bataille — dans la bataille rangée, — c’est un type de navire rapide, bien protégé, et par ses formes spéciales et par son armature métallique, qui puisse s’approcher vivement de la ligne ennemie, la