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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/585

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du prince Constantin : il a dans ses petits États une société philharmonique des mieux organisées. Priée par lui, la Reine s’est mise au piano avec une grâce charmante. Elle a chanté par cœur et en s’accompagnant elle-même la jolie romance de Mme Duchambge :


Vous partez brillante et parée
Pour ce bal où je n’irai pas…


Tout le monde ayant réclamé des romances de sa composition, elle a chanté l’Héritage « avec une voix d’auteur, » disait-elle et en se plaignant d’un mal de gorge dont elle souffre depuis de longues années.

Quand on a demandé au prince Constantin de chanter à son tour, il a cherché autour de lui une personne pouvant l’accompagner. Il me semble que sa femme, la princesse Eugénie, qui a, dit-on, un talent sur le piano, aurait pu s’en charger ; mais la Reine, sans doute bien aise de me voir à l’essai, a dit qu’elle me savait bonne musicienne. C’est avec un grand embarras et un gros battement de cœur que je me suis avancée près du piano ; heureusement, il s’agissait de la partition très connue de Tancrède. Après les premiers accords, le Prince a trouvé l’accompagnement trop haut et demandé qu’on baissât le morceau d’un ton. J’ai pris tout mon courage et me suis tirée avec honneur de cette difficulté. Le prince Constantin était enchanté ; et tout le monde m’a fait de grands complimens, dont Fanny était radieuse.


Arenenberg, 4 octobre.

Mon départ d’Inzigkofen a été des plus tristes. Pour la première fois de ma vie, je m’éloignais de toutes mes affections et me sentais seule au milieu d’étrangers qui, quelque bienveillans qu’ils soient, n’en sont pas moins pour moi des juges et des maîtres ! J’ai béni la distribution des places dans les voitures, qui, pour toute cette journée, me laissait seule avec Mlle Cailleau, la femme de chambre qui doit me servir. J’ai pu pleurer en songeant à tout ce que je laisse derrière moi et aussi à cette vie inconnue dans laquelle je me jette si témérairement.

Nous sommes arrivés à la chute du jour à Arenenberg ; la Reine m’a conduite elle-même dans mon appartement, qui est