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l’appartement du Prince. Quatre chambres destinées à des dames sont sur le même palier que la mienne. Au-dessus, dans des mansardes, sont des chambres de femmes de chambre.

La vue dont on jouit de tous côtés est incomparable. Elle s’étend à l’Ouest vers de petits golfes, tout couverts de verdure, au-dessus desquels le village de Mannenbach et son presbytère dressent au soleil couchant leur joli décor. Au Nord, à travers les arbres, ce sont des pentes couvertes de vignes, le lac qui miroite, l’Ile verte et les toits luisans de Reichenau ; on devine au loin la rive du grand-duché de Bade. Au Sud, ma ruine de Salenstein se noie dans un massif d’arbres ; à l’Est, on découvre l’important et gracieux village d’Ermatingen, la ville de Constance, un peu du grand lac, et tout au fond, à perte de vue, la vague blancheur des glaciers de Saintis.


8 octobre.

Bien m’en a pris ce matin d’être descendue au salon avant la cloche du déjeuner. Une personne qui m’attendait s’est approchée de moi avec beaucoup d’empressement et d’assurance. C’était Mme Parquin (Mlle Louise Cochelet), l’ancienne compagne de la Reine à Saint-Germain, plus tard sa lectrice, et, depuis 1815, son amie de tous les instans dans les bons comme dans les mauvais jours. Ayant épousé M. Parquin, ancien officier de cavalerie dévoué corps et âme à la mémoire de l’Empereur, elle acheta tout près d’Arenenberg le chalet de Sandegg, puis le château du Wolfsberg, qu’elle habite toute l’année, et où elle tient pendant l’été une de ces pensions pour les étrangers, comme il y en a tant en Suisse. Devant déjeuner ici ce matin et voulant avoir le temps de causer avec moi, elle s’est fait conduire de bonne heure par ses chevaux, tandis que son mari et sa fille quittaient le Wolfsberg à pied.

Il est aisé de voir que le point culminant de sa vie est encore pour elle l’époque de 1814 et de 1815. C’est que la Reine jouait alors un rôle important, qu’elle était dans une grande évidence et que quelque chose de cet éclat rejaillissait sur son entourage. L’empereur Alexandre avait entendu parler d’elle et désirait la connaître. Il la vit à la Malmaison ; reçu d’abord froidement, il se piqua au jeu, voulut plaire, fit agréer sa sympathie à l’occasion de la mort de Joséphine, le 28 mai 1814, et prouva sa puissance en arrachant au gouvernement le duché de