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pierre lui sied à ravir. Il a fallu lui répondre que, bien loin de pouvoir faire aujourd’hui des dépenses pareilles, on est réduit soi-même à vendre des pierreries. Tout récemment une parure de rubis payée 60 000 francs a été abandonnée pour 15 000 francs. Beaucoup de belles choses s’en sont allées de la sorte, sans parler d’un diadème qui s’est perdu dans un naufrage. Un collier de diamans, seul héritage que la Reine ait reçu de sa mère, est en vente depuis quinze ans. C’est le collier du couronnement ; l’impératrice Joséphine le portait au sacre de Notre-Dame ; l’Empereur, quittant la Malmaison en 1815, l’avait reçu de la Reine, qui le lui avait cousu dans ses vêtemens ; le général Montholon l’a rapporté de Sainte-Hélène en 1821. Il faudrait une tête couronnée pour l’acheter, et toutes les têtes couronnées en ont. La Reine a terminé cette confidence d’une manière qui a fait baisser la tête au Prince et qui l’a ému. Si cruellement qu’elle ait payé sa dette au malheur, disait-elle, elle ne désire aucune compensation ; elle s’estimera heureuse, si elle conserve ses enfans tels qu’ils sont et « si elle réussit à modérer ces jeunes têtes, que des imprudens s’efforcent d’entraîner. »

Restée seule avec moi, et toujours tourmentée par les mêmes soucis, la Reine m’a confié que le prince Napoléon éprouve des embarras d’argent. Il a dû emprunter pour sa papeterie de Serravezza ; il cherchait à installer en outre une savonnerie, à laquelle il a dû renoncer, faute de fonds. Cependant il paraît à la veille d’abandonner sa première entreprise et de vendre Serravezza, pour se lancer dans une aventuré sur laquelle la Reine ne s’exprime plus qu’à mots couverts. Il a reçu de Paris l’invitation de rentrer en France et de se placer à la tête du parti politique qui veut faire triompher les droits du Roi de Rome. D’autres propositions lui sont venues de Corse. Sa mère espère l’avoir convaincu que ce sont là des chimères et qu’il doit refuser le concours d’amis aussi extravagans. Mais elle est beaucoup moins rassurée sur ce qui se passe en Italie même ; là, dit-elle, est le danger ; là, pour elle, le chagrin de se séparer bientôt de ce fils et de le laisser derrière elle en butte aux sollicitations des agitateurs.

Le soir nous étions encore à table quand on a annoncé la comtesse Guiccioli. Le prince Louis m’a dit aussitôt dans l’oreille qu’elle avait été la dernière maîtresse de lord Byron et que cet amant illustre n’a pas encore été remplacé près d’elle,