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8 novembre.

Nous sommes arrivés au théâtre de la Pergola que la Straniera était déjà commencée. La musique est charmante et la Grisi joue en vraie tragédienne ; elle m’a remuée jusqu’au fond de l’âme et, vers la fin du spectacle, je n’ai plus pu retenir mes larmes. La princesse Hercolani, en noir, et toujours éblouissante, est venue avec son frère Louis-Lucien dans la loge de la Reine.

Aujourd’hui la Reine recevait à déjeuner M. Darteime,.ancien officier d’artillerie de la garde impériale, qui cause beaucoup, ennuie un peu et se familiarise trop avec les princes. Un peintre français, nommé Boulanger, est venu montrer un nouveau procédé de peinture à la fresque dont il est l’inventeur. Il a une figure gauloise très agréable. Sa femme, jolie, petite, très vive, a de la physionomie et du caquet. La Reine la trouve commune, mais s’intéresse aux procédés du mari. Elle lui donne rendez-vous pour travailler avec lui.

Nous sommes convenues ensuite que l’instant était intéressant pour faire paraître l’ouvrage du prince Napoléon sur Florence et qu’il fallait en hâter la publication. Le livre sera précédé d’une notice sur l’auteur, pour laquelle la Reine me donnera des dates et des faits ; mon travail sera revu par elle, puis envoyé à M. Vieillard, ancien précepteur du Prince et généralement chargé d’amplifier et de perfectionner ce que la Reine désire voir imprimer.

Après la leçon de chant du prince Louis, qui contrefait M. de Brack à merveille, la Reine a chanté elle-même plusieurs romances. Elle s’était mise à faire le portrait de la princesse Charlotte, et le prince Louis dessinait de son côté, quand la princesse Hercolani est arrivée, belle comme un ange. Un chapeau de velours bleu avec des oiseaux de paradis, une robe de cachemire bleu décolletée, de grandes manches ouvertes et pendantes la faisaient ressortir à merveille. Elle annonçait la visite du prince de Canino, qui n’a pas tardé en effet à paraître avec la princesse. (Ils se voient tous politiquement, à ce qu’il me semble.)

Lucien Bonaparte est de taille plutôt petite ; il a de l’Empereur le menton, la bouche, le bas du nez, le sourire très doux et très fin ; mais il paraît moins bien du haut du visage, parce