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de Bouvines est le seul pont de retraite possible pour sortir du plateau, de ce plateau périlleux que ceinturent sur trois côtés les rivières, les ruisseaux, les marécages. Ce pont, il faut le passer, il faut au moins le tenir. Il le faut avant tout. D’ailleurs, un fait nouveau vient enlever à ce plan son caractère de nécessité défensive. Le vicomte de Melun, qui continue à observer l’ennemi, fait savoir que les alliés, décidément, paraissent simplement poursuivre leur étape vers Tournai.

Toute l’armée française, tout l’ost royal, donc, sans quitter sa direction, aborde la traversée du plateau qui se déroule vers la Marque. Les deux lieues et demie que l’on compte jusqu’au pont sont franchies sans encombre. Même l’infanterie des communes, qui compose l’avant-garde et marche sous l’oriflamme, passe la rivière, suivie des bagages, et s’établit sur l’autre berge. Le centre de la colonne, avec le Roi a fait halte dans Bouvines même et aux alentours. Le duc de Bourgogne et le comte de Champagne, avec les forces de l’arrière-garde, sont encore sur le plateau, assez loin sur la route.


Il est midi. Le soleil darde. La chaleur accable. Au centre du village de Bouvines, devant l’église paroissiale, à l’ombre d’un frêne, le Roi, désarmé, s’est assis. Il fait un repas sommaire, trempant dans une coupe de vin des morceaux de pain taillé.

Alors survient à toute bride, au seuil de l’ombre de l’arbre, un cavalier de marque. C’est la Truie, Gérard la Truie, chevalier connu et classé. « Sire, que faites-vous là ? » lui fait dire un récit du temps. — « Eh ! » répond le Roi, « mais je dîne. » — « Or, » continue l’arrivant, « les voilà, faites bataille. » — « La Truie, reprend Philippe, Dieu vous sauve ! Et les Flamands, viennent-ils aussi ? » — « Les voilà, Sire, Dieu vous garde ! armez-vous. »

Philippe-Auguste se fait habiller de fer. Il entre dans l’église et y prie un instant. Ces stations-là consacrent nationalement un temple.

Tout ce tableau, retracé par un témoin qui ne quittait pas le souverain, respire la vérité et la vie. On a renoncé depuis longtemps à deux légendes bizarres et sans fondement, qui s’appliquaient à cet instant de la journée. Jamais, ne fut hasardé