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sensible. » Et ailleurs : « La santé de l’âme et la santé du corps réunis : voilà ce qui constitue la plus grande somme de bonheur qu’un homme puisse avoir dans cette vie. » Le Sage tel qu’il le conçoit est celui dont Epicure a jadis tracé le flatteur portrait. Tempérant, modéré, humain, « un épicurien est un sage qui, connaissant la nature de l’homme et le genre du bonheur qui lui convient, sème de fleurs le chemin de la vertu et transforme les devoirs en plaisirs. »

A la suite du Neuf Thermidor, l’ancien garde du corps est appelé au poste d’administrateur du département de la Dordogne. Ses « adresses aux citoyens,  » ou à la Convention, — rédigées dans le style emphatique de l’époque, — témoignent toutes d’un effort énergique et souvent heureux pour calmer les passions révolutionnaires, pour pacifier le pays, pour ramener la sécurité dans les cœurs et dans les foyers. A l’occasion de la loi du 11 prairial qui rétablissait l’exercice public du culte, il tient déjà le langage qui bientôt sera celui de Bonaparte négociateur du Concordat : « Trop longtemps, disait-il, nos âmes ont été comprimées dans leur élan vers la divinité. Longtemps les destructeurs de l’ordre social ont cherché à renverser la base essentielle sur laquelle il repose. Leurs efforts ont été inutiles… Ils parlaient de philosophie, de système social, et ils enlevaient tout ce qui peut influer davantage sur l’homme et sur la société, sur la félicité publique et le bonheur des particuliers. » Ses compatriotes lui surent gré des services considérables qu’il leur avait rendus. En 1797, ils l’élurent, presque à l’unanimité, pour les représenter au Conseil des Cinq-Cents.

Il s’était marié en 1795, selon son cœur, avec une jeune femme, créole d’origine, Louise Fournier, qui avait, en premières noces, épousé un officier du régiment de Saintonge, du nom de Jean Lafon du Cluzeau-Labatut. Elle en avait eu deux enfans. En 1792, M. du Cluzeau émigra en Allemagne, et sa femme, n’ayant plus entendu parler de lui, put le croire mort. Le divorce fut prononcé, et Louise Fournier put épouser civilement le brillant administrateur de la Dordogne. De celle union, qui fut très heureuse, trois enfans naquirent, un fils et deux filles ; mais elle ne fut pas longue et eut une fin véritablement tragique. Un dimanche de l’automne de 1803, Maine de Biran sortait de la messe avec sa femme quand ils voient se présenter à eux le premier mari, M. du Cluzeau qui, pendant onze ans,