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que sa philosophie a singulièrement gagné à être constamment mêlée à l’humaine réalité de la vie.

Et il n’est pas douteux non plus que sa vie publique a gagné à être pénétrée d’un peu de philosophie. Nommé sous-préfet de Bergerac en 1806, il prend au sérieux ses fonctions, et, six années durant, il s’emploie avec une admirable activité a la bonne administration de son arrondissement. Il veille à l’exécution des travaux d’utilité générale, prend des mesures pour empêcher, — déjà ! — le déboisement des forêts, pour populariser l’usage de la vaccine, rappelle une congrégation charitable que la Révolution avait proscrite, celle des Dames de la Miséricorde, encourage les divers établissemens d’instruction, fonde enfin une Société médicale, qui, tant qu’il en fut l’inspirateur, rendit quelques services locaux. Chose assez curieuse, — digne précurseur en cela des sous-préfets de la troisième République, — il se fait nommer président d’une loge maçonnique, la Loge de la Fidélité, et y prononce des discours. Ne sourions pas en l’entendant louer le caractère « vraiment sublime » d’une institution dont l’objet est « de rapprocher l’homme de l’homme, de le fortifier ou de développer ce penchant de sociabilité inhérent à sa nature, d’affaiblir ou de réprimer toutes les passions personnelles qui le condamnent à l’isolement, au malheur et au vice. » Et croyons, sans en être d’ailleurs autrement sûrs, que cette institution « sublime » a, depuis un siècle, fortement dégénéré.

Très préoccupé des questions d’éducation, en bon disciple de Rousseau qui voit dans l’Emile, « cet immortel ouvrage,  » « une sorte de psychologie pratique,  » Maine de Biran entre en rapports avec le pédagogue suisse Pestalozzi, et lui demande un de ses élèves pour acclimater à Bergerac les méthodes nouvelles. L’école pestalozzienne eut quelque peine à triompher, en dépit de l’appui du sous-préfet, de certaines hostilités locales, mais elle en triompha, connut assez vite la prospérité, et sa réputation fut telle qu’en 1816, on proposa à l’instituteur vaudois établi à Bergerac de venir renouveler son expérience à Paris : il refusa.

On voit avec quelle conscience intelligente et dévouée l’auteur du Journal intime entendait sa lâche. Il trouvait, avec quelque raison, ses émolumens un peu maigres : il avait souhaité un rectorat d’Académie, la préfecture de Rodez : il n’obtint ni l’un ni l’autre. Élu par ses administrés, en 1809, au Corps législatif, il ne put, par un caprice de Napoléon, aller siéger