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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/797

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Amyot que j’aime tant. A un point de vue très général, son évolution morale reste fort curieuse et suggestive, et l’on y peut inscrire l’histoire de l’âme religieuse à la recherche de son point fixe. Sainte-Beuve a bien raison de rapprocher le Journal intime de l’Homme de désir de Saint-Martin, et même des Pensées de Pascal : Maine de Biran est de la famille, il est de la lignée de Pascal ; lui aussi, il cherche en gémissant. Enfin, au point de vue plus particulier de l’histoire des idées, comment ne pas observer que l’auteur du Traité de l’habitude a suivi le mouvement de la pensée de son temps qui, partie du sensualisme irréligieux du XVIIIe siècle, a promptement évolué vers le spiritualisme chrétien ? Son cas n’est pas sans analogie avec celui de Chateaubriand, de Joubert, de Lamennais. Seulement, toujours original, même quand il ressemble aux autres ou qu’il s’en inspire, il a suivi une voie et creusé un sillon qui lui appartiennent bien en propre : la voie de l’analyse intime et de l’expérience rationnelle. « Si je trouve Dieu et les vraies lois de l’ordre moral, — écrivait-il le 16 avril 1815, — ce sera pur bonheur, et je serai plus croyable que ceux qui, partant de préjugés, ne tendent qu’à les établir par leur théorie. » Il disait vrai, et son « témoignage » d’idéologue désabusé est, en effet, plus persuasif que celui de beaucoup d’autres. Pascal qui, lui aussi, fut, un instant, troublé par le stoïcisme, eût avoué pour son disciple ce penseur exigeant, méthodique et précis, chez lequel l’inquiétude morale n’a été qu’une forme, mais singulièrement noble, de la probité intellectuelle.


VICTOR GIRAUD.