charrettes que conduisaient des soldats. Comme s’ils avaient hâte d’en finir, les postillons galopaient follement ; c’est le train dont on est conduit dans les Etats du Pape. Deux chevaux se sont abattus l’un après l’autre à la voiture de la Reine, qui, fort heureusement, en a été quitte pour la peur.
Rome, ce nom dit tant de choses ! c’est en un mot l’histoire du monde et la plus forte leçon qu’on puisse recevoir sur le néant des grandeurs humaines ! Deux milles avant d’arriver, nous avons passé le Tibre sur un beau pont, défendu au milieu par une porte. Un reste de jour permettait de voir les eaux bourbeuses de ce fleuve, si souvent chanté. Le chemin qu’il nous restait à parcourir s’est fait entre des murs qui ne laissaient rien voir et dont l’impression m’était désagréable. Ma tristesse grandissait d’instant en instant. C’était un malaise sans raison, non pas sans cause, car on ne se trompe, pas aux pressentimens, et, j’en suis certaine, quelque chose menace la Reine ; il lui arrivera malheur dans ce pays !
19 novembre.
Je crois que palazzo n’est pas l’équivalent du mot français : palais, mais désigne quelque chose de particulier à l’Italie. Au moins ce palazzo Ruspoli, que nous habitons, présente-t-il un curieux mélange de désordre et de luxe, de magnificence et d’abandon. Son escalier de marbre blanc est noir à notre arrivée ; nous y montons dans les ténèbres ; la Reine interdite ne sait où s’arrêter, à qui parler. Ses domestiques sont à Rome depuis cinq jours, mais, calculant que leur maîtresse n’arriverait que le lendemain, ils n’ont pas pris la peine de l’attendre et sont allés se promener.
Elle prend ce contretemps avec sa bonne grâce ordinaire et s’en rend responsable elle-même, à cause de ses hésitations à quitter Florence et de sa longue incertitude sur la date de son départ. Elle me fait voir tout de suite son appartement, auquel elle a su donner ce même aspect animé qu’à sa maison d’Arenenberg. La pièce où l’on pénètre d’abord est une galerie de tableaux ; la Reine y a réuni les restes de la collection qu’elle avait formée et dont elle a dû se défaire en 1815. Les portraits de la famille Bonaparte, ceux de l’Empereur, à tous les âges de sa vie et dans tous ses costumes, remplissent le salon principal. Après vient un salon de musique et d’intimité, avec