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guerre. Derrière le drapeau français d’une société de Pont-à-Mousson, plus de trente mille annexés s’engouffraient dans Metz et faisaient trembler la ville à entonner les airs pleins de gloire.

Au surplus, cette politique de rapprochement entre les pays conquis et l’Allemagne ne pouvait avoir quelque chance de succès que si elle se déroulait dans une atmosphère absolument pacifique entre l’Allemagne et la France. Cette atmosphère ne tarda pas à s’assombrir. Le gouvernement allemand, maladroit, se livrait à la manifestation de Tanger, et toutes les angoisses des Alsaciens-Lorrains au sujet d’une guerre étaient ravivées. Bientôt ce grave incident était suivi de plusieurs autres, non moins sérieux, par lesquels l’Allemagne marquait sa volonté de provoquer une lutte. Ces incidens multipliés avaient rendu à la France le service de l’arrêter sur la voie de sa perte ; elle s’était ressaisie, s’était appliquée à reconstituer ses forces militaires, et revenait peu à peu à une politique intérieure meilleure. En somme, elle reprenait l’aspect traditionnel, mélange de douceur et de force.

L’affaire de Casablanca sonna le réveil. Je me trouvais en Lorraine lorsqu’elle survint. Peu à peu les détails filtrèrent. On s’abordait et on se disait la bonne nouvelle : « La France a résisté ; l’Allemagne a reculé. » Ce mot : « L’Allemagne a reculé, » porté de bouche en bouche, semblait l’annonce de temps meilleurs et pleins de promesses. À partir de ce moment, l’Alsace-Lorraine a retrouvé son amour pour la patrie française dans son entière pureté : il est resté depuis plus vivant que jamais.

Mais ce rapide historique n’avait d’utilité qu’à situer mon sujet même. Il n’est que temps de l’aborder. Je commencerai par étudier les indigènes, les vrais Alsaciens-Lorrains. Je passerai ensuite aux immigrés.

II

La classe prolétarienne, qui ne possède rien ou presque rien, à peine un bout de « chènevière » ou la petite maison d’une valeur de quelques centaines de francs, n’est pas nombreuse dans nos campagnes. C’est la plus incertaine et flottante au point de vue qui nous occupe.