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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/899

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qui perpétuèrent leurs noms. L’Espérou, ainsi que son nom l’indique, se projette en forme d’éperon sur la plaine qui descend jusqu’à la mer. On reboise son versant, dénudé depuis des siècles, et qui redeviendra l’apanage des botanistes de Montpellier, comme il le fut à l’époque de la Renaissance. Ne sait-on pas que les Cévennes sont de toutes les montagnes celles qui présentent la flore la plus nombreuse, et des spécimens de toutes les plantes ?

Parmi le silence des choses, l’Hérault, si faible encore, puisqu’il est né depuis seulement quelques heures, dans le granit de l’Aigoual, fredonne à peine. Bientôt il rencontre la Vis aux eaux limpides, et les deux rivières s’en vont ensemble à Ganges animer les filatures dont la longue façade, percée de fenêtres à barreaux, évoque une cité de couvens bourdonnans. Toute la région vit de l’industrie séricicole. Isolés au milieu de paysans sobres, qui subsistent maigrement de la vente de leurs charbons et de celle de leurs troupeaux, les Gangeois, dans leur vallée paisible, se plaisent, par un étrange goût du contraste, à rêver de voyages et d’aventures. Quelques-uns quittent leur Séranne pour toujours, et ces calmes Cévenols, calmes du moins en apparence, deviennent les plus valeureux des soldats ou des marins. La fameuse 32e demi-brigade fut composée dans le département de l’Hérault, avec des volontaires ; la plupart de ces volontaires descendaient des Cévennes.

Certains de ces infidèles au pays lui reviennent pourtant, lorsqu’ils sont vieux, que la fortune les ait ou non favorisés. Ils se retrouvent avec joie sur la place, qu’ombrage tantôt le clocher de l’église, tantôt la terrasse du temple. Là, pendant des heures, ils hument l’odeur du marché ; ils observent là-haut, dans une anfractuosité de la Séranne, la « Poupotte, » informe silhouette humaine qui, par les nuances changeantes de sa couleur, indique les variations de la température. Dans les rues fraîches, parallèles au cours de l’Hérault, ils s’en vont taquiner de leurs badinages les vieillards tricotant sur le pas de leurs portes des maillots de laine ou les jeunes filles brodant des bas de soie.

Au Sud de Ganges, jusqu’à Montpellier, par un vaste royaume de pierres et de chênes, les villages se montrent si rares qu’ils empruntent à cette rareté quelque importance. Ainsi, Claret, qui s’enorgueillit de sa grotte de salpêtre ;