Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/901

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

neige se mit à tomber. Tandis que la rumeur des arbres s’apaisait, il entendit dans l’ombre la rumeur croissante d’un ruisseau qui, le long du chemin, s’insinuait vers lui. Il aperçut des yeux de feu, les yeux patiens des loups qui infestaient quelquefois la plaine, surtout en hiver. Il eut un mouvement d’épouvante. Mais où se fût-il réfugié ? Dans les bois, il n’y avait point de bergerie, point de cabane. Par son courage, il imposait aux loups, qui sont des marcheurs infatigables et véloces, mais lâches. Et il marchait toujours avec la même assurance, sur le chemin à peine visible. Enfin, la lueur de l’aube le délivra…

Aujourd’hui, dans cette plaine, on ne découvre que des ruines, des châteaux en lambeaux, sauf celui de Cazilhac, célèbre par les amours romanesques de son seigneur, qu’une servante jalouse, la Déguedine, égorgea d’un coup de rasoir, après une nuit de fête, dans un fourré ; et aussi le château de Brissac, colosse de murailles rugueuses, juché sur une des assises de la Séranne, au-dessus d’un lac qui, par bonds et cabrioles, s’écoule vers l’Hérault.

Ganges dans sa vallée chante, ainsi qu’une demoiselle, en filant au soleil des vêtemens de soie jolis de grâce et de clarté. L’Hérault semble dans la veine bleue de ses roches courir à l’appel des filatures, pour s’en aller ensuite, souillé par le charbon et les déchets de la ruche laborieuse, vers la région des grottes dont les merveilles et les mystères entretiennent dans l’esprit du peuple le goût du rêve. Ce peuple, dans la retraite de ses montagnes, garde la ferveur des grandes époques de foi religieuse. Les premiers Aryens de nos contrées latines s’y révélèrent. Le protestantisme y trouva des adeptes spontanés et braves. Les invasions, poursuivant les voies faciles de la plaine, voisine de la mer, n’ont pas atteint cette race de la Cévenne demeurée parfaitement celte, avec sa taille haute et maigre, son teint roussâtre, ses traits accusés, ses yeux vifs. Dans ses massifs, ainsi que dans le terrain crétacé de Claret et dans le terrain lacustre de Montoulieu, ont été recueillis les plus purs spécimens de l’âge de pierre, et en si grand nombre qu’ils ont permis de reconstituer une image des temps sans histoire. Des débris d’animaux, rhinocéros, ursus, antilopes, etc., s’y rencontrent fréquemment, mêlés à des ossemens humains ou à des vestiges d’industrie humaine. Grâce à ces reliques, Cuvier