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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/939

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cette affection que découle à son tour, sans l’ombre d’effort, la bonne obéissance. Le grand nombre de châtimens infligés aujourd’hui dans notre armée pour délit d’insubordination prouve trop sûrement qu’il existe encore une foule de chefs qui ne savent, ou ne veulent pas s’approcher du cœur de leurs hommes. »

Quelques rangs plus haut, dans l’échelle hiérarchique, voici le jeune sous-lieutenant qui, « au début de sa carrière, envisageant l’avenir avec une confiance naïve, conçoit l’obéissance absolue comme une condition toute naturelle de son rôle d’officier. » Mais bientôt force lui est de se rendre compte de l’énorme et douloureux sacrifice que lui impose cette obéissance, telle qu’il la voit pratiquée autour de lui. Une lutte tragique naît et grandit en lui, entre son « devoir d’obéir » et toute sorte d’autres sentimens non moins profonds de son cœur, allant depuis son affection pour ses subordonnés jusqu’au respect de sa propre dignité morale. « Et comment finissent ces luttes intérieures? Le plus souvent par l’étouffement de l’individualité personnelle de l’officier. Celui-ci reconnaît son impuissance, et, peu à peu, s’y résigne. La notion idéale qu’il s’était faite de son rôle s’atrophie, dans son âme, pour y être remplacée par une passivité toute proche de l’indifférence. Combien de fois ai-je entendu de jeunes officiers s’écrier, après une période plus ou moins longue de stériles efforts : « Puisque, quoi que l’on fasse, on a toujours tort, c’est donc que le meilleur parti est de ne rien faire ! »

Et voici enfin, au sommet de l’échelle, l’éminent personnage entre les mains duquel repose entièrement la destinée de l’officier ! Ne semblerait-il pas que celui-là, le colonel du régiment, fût à même de s’affranchir de la servitude qui accable les officiers aussi bien que les soldats placés sous ses ordres ? Mais il se trouve que, — « par un étrange caprice du hasard, » nous affirme discrètement le capitaine Pommer, — la très grande majorité des colonels envoyés à la tête des régimens de la frontière française sont des hommes qui, « n’ayant pas la chance d’entretenir de fructueuses relations avec la capitale, doivent forcément s’absorber tout entiers dans l’angoissant souci du maintien de leur situation personnelle. » Pour peu qu’avec cela ils se voient « chargés de la nourriture d’une nombreuse famille, » des chefs de cette espèce sont bien loin d’apporter l’indépendance et le bien-être dans la vie intime du régiment qu’ils viennent commander. « L’épée de Damoclès perpétuellement suspendue au-dessus de leur front les contraint à réprimer, chez leurs subordonnés, jusqu’au moindre soupçon de liberté d’esprit. Leur seul effort ne tend qu’à faire appa-