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ser plutôt à un marchand civil qu’à un autre officier. « Le prix d’un cheval est ce qu’en donnera l’imbécile qui l’achètera ! » serait, d’après l’ex-capitaine, un proverbe favori dans toute garnison allemande. Et rien n’y est « mieux porté » que de pouvoir se targuer d’exploits comme le suivant :

Un lieutenant qui venait d’être appelé à l’École de Guerre a proposé à un camarade qui se trouvait souffrant de lui vendre un cheval. Le camarade ne pouvant pas essayer le cheval, force lui était de se fier absolument à la parole du vendeur. Or, d’après l’assurance formelle de ce dernier, le cheval était âgé de quatorze ans, d’une santé irréprochable, et cédé au même prix dont il avait été payé, avant les manœuvres, à son précédent possesseur, un officier de uhlans. Car il allait de soi que le vendeur n’entendait pas « faire une affaire, » en se débarrassant d’une bête inutile ! Si bien que le marché avait été conclu ; le cheval avait changé d’écurie, et le lieutenant était parti pour Berlin.

Revenu à la santé, le nouveau possesseur a monté le cheval, et, tout de suite, a tristement constaté qu’il avait acheté une « rosse » pitoyable ! Cette découverte lui a été confirmée, d’ailleurs, par l’officier de uhlans, en même temps que le malheureux acheteur apprenait de celui-ci que le cheval était âgé de vingt ans, et avait été vendu, avant les manœuvres, pour moins de la moitié de son dernier prix. Aussi bien le noble coursier est-il mort quelques semaines plus tard, d’une maladie dont les symptômes s’étaient manifestés bien avant le départ du lieutenant vendeur. Cet honorable officier, qui avait menti sciemment afin de « faire une affaire, » a toujours continué de jouir de la plus grande considération. Au sortir de l’École de Guerre, il a obtenu un poste de confiance auprès du colonel de l’un des régimens les plus recherchés ; et tout porte à croire que ses éminentes qualités militaires lui vaudront un jour d’être placé lui-même à la tête d’un régiment. Peu d’hommes se montrent aussi jaloux de leur réputation d’honneur chevaleresque ; et à l’égard de son collègue cependant il n’est pas douteux que sa conduite aurait eu de quoi faire honte à un maquignon professionnel !

L’ivrognerie, les dettes, la dépravation sexuelle sous toutes ses formes, ce sont encore autant de choses qui, suivant l’ex-capitaine prussien, s’accordent le mieux du monde avec le maintien de l’« honneur » d’un officier. Les affirmations que produit, à ce sujet, le livre de M. Hans Pommer sont, naturellement, de celles dont il nous est bien difficile de contrôler l’authenticité ; mais voici, par exemple, quelques traits qui portent manifestement le cachet d’une expérience personnelle :

J’ai assisté pour ma part, et plus d’une fois, à des scènes de vandalisme qui défieraient toute description. Pendant un dîner d’adieu offert par le corps des officiers du camp d’Elserborn à une division de cavalerie, j’ai été