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l’Allemagne ? Elle a assuré que, si elle approuvait la forme et le fond du document austro-hongrois, elle ne l’avait connu qu’après coup. C’est le premier mensonge de la série. Depuis, l’ambassadeur d’Angleterre à Vienne a fait savoir à son gouvernement, à la suite d’une information digne de confiance, que le texte de l’ultimatum avait été envoyé à Berlin avant de l’être à Belgrade et, si on a pu se tromper à Vienne sur les suites que devait avoir une aussi injurieuse provocation, on ne l’a certainement pas fait à Berlin. On y a nié la complicité parce que tout mauvais cas est niable, mais elle est aujourd’hui solidement établie. Dès ce moment d’ailleurs, le gouvernement allemand avait commencé sans bruit sa mobilisation, allant bien au delà de ces premières précautions qu’un gouvernement prudent doit toujours prendre quand apparaît un danger sérieux. Ce qui s’est passé par la suite permet d’affirmer que la volonté de guerre était déjà arrêtée à Berlin et qu’on ne s’en laisserait détourner par rien.

L’Europe n’était pas encore renseignée alors comme elle l’a été par la suite et quand l’empereur Guillaume, interrompant sa croisière du Nord, s’est rendu précipitamment à Berlin, l’amour de la paix était si grand partout qu’on a cru, qu’on a voulu croire que, partageant ce sentiment, il saurait lui donner satisfaction. On s’était fait de l’empereur Guillaume l’image d’un souverain pacifique, qui s’était proposé d’achever par la paix ce que ses aïeux avaient commencé par la guerre, et avait d’ailleurs assez de sagesse pour ne pas exposer au sort des batailles l’édifice prodigieux, presque miraculeux, de la grandeur allemande. Cette idée qu’on avait de lui n’était peut-être pas inexacte jusqu’à ces derniers temps, mais les hommes changent avec les circonstances et, depuis quelques mois surtout, les voyageurs revenus d’Allemagne en rapportaient des impressions assez différentes de celles d’autrefois. On n’entendait parler que de guerre de l’autre côté du Rhin. Le parti pangermaniste y devenait de plus en plus exigeant et violent. L’armée, comme nous en avons eu la sensation très nette au moment des honteux scandales de Saverne, se sentait devenue maîtresse, et son arrogance n’avait plus de bornes. Sous ces influences grandissantes, le caractère de l’empereur s’altérait : on racontait qu’il ne vivait plus qu’avec son cabinet militaire, dans un cercle borné et dans une atmosphère fiévreuse et surexcitée. On était parvenu à le convaincre que la guerre était nécessaire, et que, plus on la retarderait, plus on perdrait des avantages dont on disposait encore. La Russie grandissait démesurément ; la France était irréconciliable ; le prestige de l’Allemagne